Prédication du 27/11/2022

Prédication par Didier Petit

Texte : Matthieu XXIV 37-44

Matthieu 24, 37-44

Comme l’époque est plutôt tristounette, il est bien naturel de se demander si nous avons besoin d’un texte comme celui-ci pour alimenter en espérance ce temps de l’Avent qui commence. Mais si nous nous souvenons que ces textes apocalyptiques ont un ton provocateur, c’est surtout pour nous faire remarquer notre ignorance et nous assurer de la présence de Dieu dans l’avenir. Si nous pensons souvent avancer les yeux masqués vers un futur que nous ne connaissons pas, un texte comme celui-ci nous rappelle que l’avenir n’est pas un trou noir ni un vide à remplir avec nos inquiétudes. Ces dernières sont déjà bien installées dans le présent, pas la peine d’en tapisser tout avenir possible !

Jésus est à la manœuvre, ici, et sa provocation nous aide à réfléchir. C’est un peu comme s’il passait en revue nos idées toutes faites sur l’avenir, nos prévisions hasardeuses, nos équations à plusieurs inconnues, d’une manière générale notre volonté de calcul qui – dans ce domaine en tout cas – est un besoin d’être rassuré par des certitudes… là où il n’y a que des probabilités et des peut-être.

Nos scénarios sont bourrés d’imagination. Que se passera-t-il à la fin, comment tout cela va-t-il finir ? Nous avons une immense littérature qui entend répondre à ces questions. Et le texte du jour ajoute un supplément d’angoisse en laissant entendre que certains pourraient s’en sortir mieux que d’autres, ce qui ne fait aucune différence avec l’ordinaire du monde comme il va : c’est déjà le cas partout et toujours. Que faire, par exemple, avec : « l’un est pris et l’autre laissé » ?

Je disais plus haut que l’époque est déjà assez angoissante comme ça, sans encore en rajouter, même si nous ne craignons plus d’être enlevés d’une seconde à l’autre, comme notre texte nous le suggère. Ce n’est pas parce que certaines inquiétudes culturellement datées ont disparu que l’aptitude de l’être humain à s’inquiéter a disparu : la peur du lendemain change de forme sans cesse, elle s’exprimait hier comme dans nos versets du jour, elle emprunte d’autre voies aujourd’hui.

Et c’est vrai que les sujets de préoccupation ne manquent pas. Au dernier synode régional, il y a une semaine, nous avons pu examiner un vœu qui invitait à considérer attentivement l’angoisse des actuels trentenaires devant la perspective de mettre quelqu’un au monde. C’est, à en croire certains sondages, un sujet très présent dans cette tranche d’âge, et leur souci peut s’exprimer ainsi : « Face à une telle crise écologique et climatique, les promesses de restrictions et l’annonce d’une économie déclinante, avec la guerre qui revient en Europe, etc. est-il raisonnable d’avoir des enfants ? »

Cela peut paraître bien radical, mais au fond, y a-t-il une époque dans toute l’histoire, où une génération ne s’est pas interrogé sur le bien-fondé de l’enfantement ? Je crois que c’est une préoccupation permanente de l’humanité, même si les moyens de maîtriser la fécondité, de la retarder, de la planifier, etc. sont très récents. Et surtout, parmi tous ceux qui ont posé la question, quelqu’un a-t-il eu un jour une réponse sérieuse et ferme à cette question ? La vie est malicieuse, elle se fraie un passage en se fichant pas mal de nos angoisses. Ajoutez à cela les automatismes, les habitudes, la pression de toute une société, et vous constaterez que personne n’a de réponse rationnelle à proposer à la question : « Pourquoi mettons-nous des enfants au monde ? »

Mais c’est parce que l’origine de ce besoin d’avoir quelqu’un après nous n’a rien à voir avec la raison. C’est sans doute pour cela que l’espérance qui est le cœur même du temps de l’Avent n’a rien à voir avec un concept ou une idée, même clairement définie. L’angoisse qui fait se demander : « Pourquoi doit-il y avoir quelqu’un après nous ? » ne se guérit pas en trouvant une bonne idée, mais en renouant avec une confiance que nous perdons régulièrement pour la retrouver plus tard. C’est autrement plus difficile que d’avoir une idée.

Jésus aussi se fiche des idées que son époque se fait sur l’avenir, la fin des temps et tout le reste. « Cette heure-là, vous l’ignorez. Fin de la discussion. » Le mécanisme de déclenchement et de déploiement de l’angoisse est arrêté net par une autre manière d’habiter le temps : « Veillez, tenez-vous prêts ! »

Je ne sais pas nous mesurons bien la force de cette proposition. Notre pente naturelle est plutôt de croire que nous avons davantage d’espace et de liberté dans un temps étendu et orienté. Il faut que nous ayons assez de temps disponible pour nous sentir comme dans un vêtement confortable, avec ses soufflets et ses plis d’aisance. Nous n’aimons pas sentir les coutures se tendre, et c’est bien compréhensible : quand nous remettons au printemps, sans pouvoir fermer les boutons, un vêtement qui nous allait parfaitement l’année précédente, quelle déception ! Mais nous voulons aussi savoir où nous allons : notre vie, pour être vivable, doit être tendue entre un point A et un point B bien définis. De l’espace, donc, et en particulier un espace maîtrisé par nous.

En nous proposant de veiller et de nous tenir prêts, Jésus contourne ce besoin d’espace en nous confinant dans un présent qui se suffit à lui-même. Drôle de manière de nous libérer, de nous donner de l’air ! Pourtant, je suis convaincu que le cœur même du temps de l’Avent se trouve ici, dans cette mobilisation confiante qui fait que nous habitons vraiment le temps qui nous est donné.

Nos plannings sont sans doute nécessaires pour mesurer la bonne marche de ce que nous faisons pour annoncer l’Evangile. Ils sont nécessaires tant qu’ils restent des outils, c’est-à-dire tant que nous les utilisons pour garder le cap… Mais à partir du moment où ils deviennent une raison d’être, ce sont eux qui nous tiennent en main, c’est à ce moment-là que nous sommes utilisés par eux, instrumentalisés. Et c’est à ce moment-là, je crois, que l’angoisse revient, parce que nous avons perdu la main, nous nous sommes dessaisis des choses. C’est quand nous voulons tout maîtriser que nous perdons le contrôle. Mais nous gardons le cap à chaque fois que, dans le brouillard de ce qu’on ne maîtrise pas, nous avons assez confiants pour nous tenir prêts. Il ne s’agit donc pas tant de rêver d’une destination à rejoindre à tout prix, que d’être prêts à témoigner auprès de ceux pour qui nous seront une destination.

Alors veiller, d’accord, mais de quelle manière ? L’Avent est-il une attente pleine de tension, au point d’être rapidement insupportable ? Ou bien une forme d’attentisme passif, plus reposant mais stérile ? Ni l’un ni l’autre. Jésus, en appuyant sur le « Tenez-vous prêts », évoque plutôt une anticipation comme celle qui, dans l’éducation de ceux qu’on met au monde, pousse les parents à préparer leurs enfants à construire leur vie dans ce monde, malgré ce qu’il est. C’est une sorte de veille extrêmement active, imprégnée de la seule certitude de mettre à disposition ce qui permet la vie, mais sans la planifier ou la maîtriser d’un bout à l’autre, nous le savons bien.

Des catastrophes sont en préparation, n’en doutons pas. Certains effets se font déjà sentir. Mais si Jésus évoque l’histoire de Noé en plein déluge, ce n’est pas pour nous dire que les humains et les animaux présents dans l’Arche étaient les premiers migrants climatiques. C’est surtout pour dire que les fins catastrophiques ne sont pas programmées par Dieu, ni inévitables. Elles doivent être repérées aussi vite que possible et faire place à notre responsabilité, c’est-à-dire notre capacité à apporter des réponses.

Le temps de l’Avent est temps d’espérance parce qu’il ne nous laisse plus le choix : une confiance constructive d’un côté, nos calculs hasardeux ou notre laisser-faire de l’autre. Ne nous trompons pas.

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