Prédication du 30/10/2022
Prédications par Martine Aggerbeck et Didier Petit
Texte : Ésaïe XV 22-24, Luc XIX 1-10
Esaïe 45, 22-24
Avec le pasteur Didier Petit, nous avons fait le choix de commenter, en résonnance et j’espère que le but pourra être atteint, le texte d’Esaïe et celui de l’Evangile en ce jour où nous fêtons ensemble, baptistes, luthériens et réformés, la date retenue historiquement comme début de la Réformation. Cette date fut initiée sans le vouloir par Martin Luther ou peut-être d’ailleurs par ses élèves, par l’affichage de ses 95 thèses sur les portes de la chapelle du château de Wittemberg, un 31 octobre 1517. Puis il y aura la réformation de Jean Calvin mais nous pourrions ajouter bien d’autres réformateurs, je cite juste Guillaume Farel, Théodore de Bèze et John Knox qui entourent Calvin sur le mur des réformateurs à Genève.
Au verset 22 du chapitre 45 du livre d’Esaïe, Dieu dit : « Tournez-vous vers moi et vous serez sauvés, vous tous les confins de la terre, car c’est moi qui suis Dieu, il n’y en a pas d’autre. », qui peut aussi se lire : « Approchez-vous de moi et laissez-vous sauver ».
Le premier message pour moi, ce matin, est cette affirmation du salut offert gratuitement à toutes et à tous sans exception. C’est cette affirmation qui a mis en route Luther quand il cherchait comment rendre Dieu favorable à sa personne, quand les jeûnes, les prières, et autres exercices spirituels ne lui semblaient pas suffisants pour échapper à l’enfer. Luther s’est libéré en comprenant enfin les épîtres de Paul, spécialement la lettre aux Romains et particulièrement le verset (1,17) « Celui qui est juste par la foi vivra », un verset proche du verset 4 du chapitre 2 du livre d’Habacuc (« un juste vit par sa fidélité »). C’est une révolution dans sa tête, une réforme dans sa pensée, à une époque où Dieu était vu comme un juge implacable qui condamnait ou sauvait. Le salut vient par la grâce seule de Dieu, au travers de Jésus qui nous justifie par la foi seule que nous mettons en lui. Nul, nul homme, nulle femme, ne peut se sauver lui-même ou elle-même, et cette vision du salut vient donc contredire le recours aux œuvres prôné à l’époque par l’Eglise catholique.
C’est en se tournant vers Dieu à travers le Christ, comme le fera Zachée dans l’Evangile, que l’être humain peut être pardonné et sauvé. Le salut n’est pas monnayable. Si je prends la traduction « laissez-vous sauver », l’Homme semble n’avoir rien à faire pour obtenir cette action salvatrice de Dieu ou du Christ mais cependant, il faut se tourner ou s’approcher de Dieu ou du Christ. S’approcher de Dieu, en premier lieu, c’est, à un moment quelconque de notre vie, entendre son appel, celui de l’Esprit Saint, aussi ténu soit-il, et c’est peut-être cela qui est le plus difficile, surtout à notre époque où nous avons tant d’autres appels par les media, internet, les réseaux sociaux, et en second lieu, c’est répondre à cet appel, le laisser agir en nous, nous guider, pour accepter de faire la volonté de Dieu ; qu’il soit le Père ou le Fils, celui avec qui nous nous sentons en phase.
Le deuxième message, plus court, est que le salut est offert à tous les humains, sans condition préalable. C’est à mon sens un message plein d’espérance que chacun, chacune, quel que soit son passé, quelle que soit son origine, son background, peut à n’importe quel moment de sa vie se tourner vers le Christ, le rédempteur et être racheté, sauvé. Nous l’entendrons dans le récit de l’Evangile. Comment s’approcher du Christ ? Pas besoin d’être né dans une famille chrétienne, réformée ou luthérienne, catholique ou autre, pas besoin d’avoir suivi fidèlement le KT puis être allé au culte pour pouvoir prétendre à la grâce de Dieu et au salut. Il suffit simplement à un moment de notre vie, de se tourner vers le Christ, de le confesser comme Fils de Dieu, comme rédempteur, pour être renouvelé, pour devenir justifié et juste comme Esaïe le dit au verset 24 : « C’est seulement dans le Seigneur que sont actes de justice et puissance ».
Martine Aggerbeck
Luc 19.1-10
Est-ce que nous connaissons vraiment l’origine de nos idées, de nos comportements ou de nos réactions ? Pas sûr, surtout depuis qu’un Autrichien célèbre nous a appris que nous n’étions pas maîtres de nous-mêmes, que notre petit monde pulsionnel nous échappe, et qu’il est la partie immergée de l’iceberg. Difficile, après tout ça, de dresser un inventaire crédible de nos motivations…
Pourtant, il y a aussi des gens pour qui la recherche de Dieu motive leur comportement et influence leur vie en profondeur. Certains textes nous les présentent parfois sous les traits de personnages improbables, comme Adam et Eve qui recherchent la présence de Dieu tout en se cachant : ils sont cachés dans un jardin mais tiennent tout de même à rester à portée de voix, comme s’ils ne savaient pas comment s’y prendre.
Nous retrouvons un peu le même embarras avec Zachée, cette attitude contradictoire qui nous pousse à voir sans être vus. C’est sans doute pour ça que la foule ne joue pas le même rôle que Zachée : elle est curieuse, explicite, se met en avant et fait obstacle, finalement. Elle n’est pas très intéressante, finalement. Zachée, lui, sait se dissimuler pour qu’on le trouve.
Il se cache dans l’arbre pour échapper à une foule qui le déteste en tant que collecteur d’impôts, c’est-à-dire comme quelqu’un qui a acheté sa charge aux Romains et qui rembourse l’occupant en rançonnant ses compatriotes. On comprend qu’il se cache… D’autant qu’il se sucre au passage, en prélevant très largement pour lui. Mais s’il a réussi à prendre ses distances avec la foule, rien ne l’empêchait de s’approcher de Jésus, en écartant les gêneurs d’une manière ou d’une autre. Son intention était bel et bien de voir Jésus sans être vu de lui.
Peut-être que nous sommes tous comme Zachée, lorsque nous essayons de savoir comment nous situer par rapport à Dieu : ce besoin de distance ressemble à une obsession de ne pas mettre notre liberté en danger, pouvoir chercher sa présence ou son contact sans l’aborder frontalement, retrouver sa trace et le pister mais sans le rattraper…
Le mystère de Zachée est sans aucun doute le nôtre, tout comme le besoin qu’Adam et Eve avaient de se cacher ressemble à une crainte… qui débouche pourtant sur une liberté un peu lourde à porter et aussi une autonomie bienvenue. Ce sentiment de crainte n’est pas extrêmement développé chez les Protestants qu’on a d’ailleurs caricaturés en tutoyeurs de Dieu un peu sans gêne. Nous avons une théologie de la grâce qui, peut-être, nous dispense d’avoir peur, de succomber à cette crainte respectueuse. Après tout, le pardon promis est constamment à disposition, la crainte serait certainement un manque de confiance, non ?
Zachée semble avoir trouvé quelque chose d’intéressant : d’une manière ou d’une autre, il savait qu’il allait être repéré par Jésus, tôt ou tard ! Et effectivement, Jésus est allé au-delà des souhaits de Zachée : plus moyen de se cacher, c’est Jésus qui s’est invité chez lui. D’une situation floue, garantie par l’anonymat confortable d’une foule de curieux, on passe à un face à face avec Jésus lui-même. Il n’y aura plus de dissimulation, plus de crainte, Zachée se tiendra en toute vérité devant Jésus.
Mais cette position de face à face, qui pourrait être intimidante, gênante, ne conduit pourtant pas Zachée à une confession des péchés humiliante, un de ces épisodes de contrition dont on ressort lessivé, sans illusion sur ses chances de salut. Au contraire, Zachée se découvre tel qu’il est : capable de générosité alors que tout le monde le tient pour un escroc sans scrupules. Malgré tout ce qu’il a fait, il ne reste que sa manière de s’assumer comme il est et d’essayer de devenir meilleur. Et ce changement ne vient pas de Jésus mais de Zachée lui-même. Ouh la la ! Il serait l’auteur de son propre salut ? On est sur un terrain glissant, non ?
Pas de panique ! Il ne s’agit pas d’un retour aux œuvres méritoires ou à un salut à construire soi-même. Zachée a appris une autre leçon : il voulait voir Jésus sans le rencontrer. Ce changement, il ne l’envisageait pas vraiment ; la vraie crainte de Zachée n’était pas de se retrouver devant Dieu, mais plutôt de se retrouver face à lui-même.
Notre grande crainte, en réalité, n’est pas une terreur sacrée, mais la peur de devoir changer de vie. Zachée n’a reçu aucune consigne particulière de la part de Jésus. Il est assez averti dans la foi pour savoir ce qu’il doit faire sans qu’on le lui dise. C’est ainsi que nous devons être devant Dieu : des hommes et des femmes suffisamment responsables pour comprendre sans qu’on nous le dise, quel est le sens de notre vie pour aller de l’avant.
La grâce, pour Zachée comme pour nous, est dans cette capacité de nous retrouver face à nous-même sans en faire une malédiction, mais au contraire une chance extraordinaire d’être enfin humains à l’image de Dieu. La redécouverte de la grâce, il y a 500 ans, nous a parfois donné l’impression que nous n’avions rien à craindre d’un face à face avec Dieu. C’est sans doute vrai. Mais il nous faut aussi le courage de la rencontre avec un Christ toujours vivant pour nous retrouver face à nous-même. Et c’est peut-être ce qui nous fait le plus peur…
Didier Petit