Pénurie

Il y a certainement un voisinage, même lointain, entre les rouleaux de papiers toilette amassés « au cas où » pendant les périodes de confinement et les jerrycans d’essence remplis en catimini au petit jour. Et aussi la peur au ventre puisqu’on peut mourir d’un coup de tournevis pour 20 litres de sans plomb 95.
Lorsque, il y a 40 ans, nous regardions la fiction effrayante Mad Max avec ses hordes de barbares qui s’étripaient pour la maîtrise des stocks de carburant, nous sortions des salles de cinéma le sourire aux lèvres, bien persuadés que cela n’arriverait jamais. Nous étions encore à une époque où ces choses-là pouvaient se classer au rayon fantastique ou science-fiction des bonnes librairies. Aujourd’hui, c’est dans l’actualité. À force de prévoir certains événements dans la littérature d’anticipation, le présent a rejoint l’avenir, l’a dépassé et même ringardisé. Le futur a de moins en moins d’avenir.
La peur du manque est bien l’une des plus répandues : manquer de nourriture et d’eau, manquer d’espace, de reconnaissance, de liberté ou de perspectives, etc. S’il y a une chose qui nous caractérise, c’est bien la hantise de toute pénurie. Quel contraste quand l’Apôtre Paul déclare : « J’ai appris à être satisfait de ma situation. Je sais vivre dans la pauvreté et je sais vivre dans l’abondance. » (Philippiens 4,10-11) !
Le contentement qu’on nous propose ici ne viendra pas naturellement, puisque notre attitude naturelle est justement d’amasser plus qu’il n’est nécessaire, au mépris parfois du besoin des autres. La déclaration de Paul nous oriente, non pas vers une gestion des bonnes quantités, mais plutôt vers l’attitude de discernement et d’adaptation à ce qui est disponible, qu’il y ait beaucoup à se partager ou très peu. Manière de NOUS rendre disponibles. Paul ignore la logique consommateur/ressources pour privilégier une forme de souplesse.
Nous pouvons faire beaucoup de choses avec très peu. Le même Paul ne déclare-t-il pas ailleurs, à propos des chrétiens de Macédoine : « Leur joie débordante et leur pauvreté les ont conduits à faire preuve d’une très grande générosité. » (2 Corinthiens 8,2) ? Si ces Macédoniens avaient sagement géré les faibles quantités, ils auraient gardé le peu qui restait et personne ne leur aurait reproché. Ils n’ont pas fait PLUS, ils ont fait MIEUX. C’est donc possible pour nous aussi : je suis même prêt à le parier. Disons 20 litres de sans plomb 95, ça ira ?
Didier Petit (pasteur)
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