Prédication du 30/01/2022

Prédication par Didier Petit

Texte : Luc IV 14-21

Luc 4, 14-21

La période des vœux est assez largement passée, mais nous avons le droit, il me semble, de nous les présenter jusqu’à la fin du mois de janvier. Aujourd’hui est le 30 janvier, nous sommes donc « dans les clous ». Bonne année, tout le monde ! Mais si je vous ramène à cette histoire de nouvelle année, ce n’est pas pour évoquer les souhaits que nous formons au début de chaque année civile. Il s’agit plutôt de cette extraordinaire remise à plat dont parle le texte que Jésus relit pour ses auditeurs, un jour de sabbat.

L’épisode du jour se situe entre la tentation au désert et les vrais débuts du ministère de Jésus, à un moment où sa parole peine à trouver une vraie autorité. On trouve même un début de défiance un peu plus loin, lorsqu’il s’agira de reconnaître qu’aucun prophète n’est bien accueilli par les siens. Pour l’heure, Jésus est à Nazareth, dans la synagogue de sa ville natale, où il commente le prophète Esaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a choisi pour guérir ceux qui ont le cœur brisé, pour annoncer la bonne nouvelle aux pauvres. Il m’a envoyé pour proclamer aux captifs la délivrance, et aux aveugles le recouvrement de la vue, pour renvoyer libres les opprimés, pour proclamer une année de grâce du Seigneur (versets 18 et 19). »

Drôle de prétention de la part de Jésus : « Dieu m’a choisi ! » Devant les siens et leur certitude que l’élection concerne toujours un peuple entier, l’idée que le choix de Dieu pouvait se concentrer en quelque sorte sur une seule personne a dû en choquer quelques-uns ! A bon droit, d’ailleurs… Pourtant, la foi des disciples s’est longtemps appuyée sur cette seule évidence, sur cette seule singularité. Avant même de se demander s’il était de nature divine, ils se sont fiés à leur certitude qu’il était un envoyé de Dieu, un descendant des prophètes.

On peut se demander si le choix de cette filiation était le bon : celui qui vouera sa vie à l’annonce d’une bonne nouvelle devait-il vraiment se placer dans le droit fil de ceux qui en avaient tant apporté de mauvaises ? Les prophètes de l’AT avaient en effet la rude tâche d’annoncer les drames à venir tout en promettant qu’un petit reste assurerait le futur du peuple de Dieu.

Mais ici, pas de mauvaise nouvelle, une seule bonne nouvelle : celle de l’année de grâce, c’est-à-dire celle du Jubilée : toutes les ardoises doivent être effacées, les esclaves et les prisonniers libérés et les terres redistribuées. C’est une véritable remise à plat rendue nécessaire pour que les sociétés humaines ne succombent pas à leurs propres excès, leurs déséquilibres suicidaires.

Cette « bonne idée » de l’année de grâce n’était plus observée à l’époque de Jésus. Mais elle ne l’était pas non plus à l’époque d’Esaïe. En réalité, on peut vraiment douter qu’elle ait jamais été appliquée, quelle que soit l’époque. C’est sûrement parce que l’effacement de toutes les dettes n’a jamais vraiment été souhaitée pour toutes sortes de gens. On peut même insinuer que l’opposition à Jésus qui commence à se manifester est justement un refus de voir revenir à la surface cette « bonne idée » que beaucoup croyaient enterrée !

Beaucoup de choses ont résisté à sa réalisation. L’oubli de la Loi par le peuple d’Israël avait dû la faire passer rapidement à la trappe ; la mise sous tutelle du pays par des puissances étrangères avait rendu inapplicable toute autre loi que celle des occupants ; les bouleversements sociaux impliqués par une telle loi seraient difficiles à gérer. Peut-on imaginer ce que ferait une redistribution des terres à l’échelle de tout un pays ? Appliquée à la lettre, mécaniquement, elle figerait l’évolution de bien d’autres secteurs économiques d’une société certainement plus diversifiée et complexe.

Que nous apprend alors cette année de grâce ? Si l’on compare le texte d’Esaïe avec ce qu’en dit Jésus, on s’aperçoit que Jésus ne se contente pas de citer, il interprète le texte à sa manière. Esaïe dit : « Le Seigneur m’a choisi pour porter de bonnes nouvelles aux malheureux. Jésus lit : « L’esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a oint pour annoncer une bonne nouvelle aux pauvres. »

En parlant d’une bonne nouvelle au singulier, Jésus montre que l’année de grâce n’est pas seulement l’application d’articles de loi en faveur des déshérités, c’est surtout une nouvelle manière de voir qui englobe tous les cas de figure. C’est une loi avant tout spirituelle qui consiste à annoncer la grâce en toutes choses : c’est autre chose qu’un principe de justice, même si c’est aussi précieux.

Jésus ne déclare pas poursuivre l’œuvre des prophètes en proposant des amnisties, des annulations de dettes, des réformes agraires ou des projets de soulèvements contre l’occupant. Il s’agit plutôt d’ouvrir d’autres portes : libérer de la culpabilité pour mieux vivre d’espérance, libérer d’un monde trompeur et indifférent pour mieux le subvertir par une présence authentique et bienveillante.

Une question se pose pourtant, comme pour toute prophétie : concerne-t-elle un avenir encore indiscernable, un inaccompli peut-être lointain, ou bien est-ce la révélation que ces choses ont déjà commencé et que nous sommes provisoirement incapables de les identifier ou de leur donner corps ? Déjà ou pas encore ? Et dans quelle mesure ? La question est d’importance : il s’agit de savoir si Jésus est un prophète parmi d’autres ou bien s’il est le Messie tant attendu. Là encore, la différence est de taille !

Conscient de l’enjeu, Jésus répond pour nous : « Aujourd’hui cette parole de l’Ecriture que vous venez d’entendre est accomplie » (4, 21. 22). C’est peut-être aussi la netteté de la réponse qui a choqué : comment peut-on oser dire une chose pareille alors que rien ne change de manière visible ?

Jésus répondra plus tard à cette autre question (en 17, 20 et 21) en s’adressant aux Pharisiens : « Le royaume de Dieu ne vient pas de manière à frapper les regards, il est au milieu de vous. » C’est ici que la foi active entre en jeu : c’est la fin de l’attentisme, de l’espérance passive régulièrement écrasée par les faits. Place aux tentatives audacieuses, seules capables de donner un avant-goût de royaume à un monde qui ressemble à tout sauf à ça !

C’est parce que Jésus est le Messie attendu et non pas un prophète de plus que notre foi active est un royaume déjà là. Alors, nous ne sommes plus pauvres, ni captifs, ni aveugles. Les ardoises sont effacées, tout est remis à zéro. Et comme le disait l’apôtre Paul : « A la fois nous n’avons rien et nous possédons toutes choses » (2 Cor 6, 10).

La période des vœux est terminée, à vrai dire. Nous avons eu largement le temps de faire des projets, de nous préparer à l’année civile qui vient. La pratique ancienne, oubliée aujourd’hui, qui consistait à annoncer que l’année commencée était l’an de grâce N… était une manière de s’inscrire dans ce royaume déjà là. Aujourd’hui encore, si nous disons que nous sommes en l’an de grâce 2022, nous ne faisons pas référence au décompte habituel des années depuis la naissance approximative de Jésus, point de départ qui paraît bien loin à la plupart de nos contemporains. Nous nous inscrivons en réalité dans tout autre chose qu’un simple décompte.

Alors bonne année à tous. Et aussi la santé, c’est important ! Mais surtout : que la grâce soit avec vous tous ! La grâce qui nous fait voir toute chose nouvelle, comme si nous avions le point de vue de Dieu lui-même. C’est l’apôtre Paul qui nous dit dans quel « temps » nous sommes : « C’est maintenant le temps favorable, c’est maintenant le jour du salut » (2 Cor 6, 1. 2).

Que la grâce de Dieu soit avec nous tous.

 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.