Il brûle, mais ne se consume pas

 « Il brûle, mais ne se consume pas » (Exode 3, 1-15)

Est-il toujours nécessaire qu’il y ait parole pour se savoir dans un instant révélateur ? Comme Moïse, nous aimerions bien un face-à-face, les yeux dans les yeux. Ici, Dieu choisit de se faire remarquer de façon visuelle. Il laisse à voir avant de laisser à entendre.

Comment garder la capacité d’étonnement de Moïse malgré notre inaptitude aux miracles ? Moïse, en effet, garde cette fraîcheur devant l’inattendu, l’instant révélateur est là. Ensuite seulement, la parole prend le relai de l’image, il n’y a plus qu’à tendre l’oreille à ce Dieu qui parle et convoque.

Pourquoi Moïse se voit-il privé de la possibilité d’être face à un Dieu familier, SON Dieu ? Pourquoi le ramener à une filiation lointaine, à un peuple qu’il a quitté depuis si longtemps ? Le pari que Dieu fait ici d’intéresser un presqu’étranger à l’histoire de ce peuple paraît extrêmement risqué. Mais, au fond, a-t-on jamais pu se faire une idée tant soit peu familière de ce Dieu qui ne se laisse pas regarder, sans recourir à chaque fois à ce que d’autres nous en ont dit ?

L’épisode du buisson ardent pourrait mettre Moïse dans une position privilégiée : le caractère extraordinaire de ce mode de révélation devrait suffire à lui donner un accès direct à un Dieu-rien-qu’à-lui ! Il n’en est rien : il est ramené au Dieu de ceux qui l’ont précédé. La révélation est une transmission, une tradition qui passe, comme un fil rouge, d’un individu à l’autre, d’une génération à l’autre.

La même promesse a été faite à Abraham. Il ne s’agit pas de rejoindre un passé magnifié : les Pères fondateurs ne sont là que pour montrer l’origine du fil rouge qui passe par nous et qui nous survivra. C’est l’avenir du peuple que Dieu se choisit qui importe et justifie son intervention au cœur de notre Histoire et de nos histoires.

Pas question, donc, d’être enfermé par quoi que ce soit, ni par le poids du passé, ni par l’incertitude d’un futur rêvé et poursuivi fébrilement, mais sans préparation. La feuille de route : la liberté d’abord ; ensuite viendront les prescriptions, les lois, le territoire. Sans confondre une liberté assumée et responsable avec un nomadisme sans but, nous qui sommes à l’image de Dieu avons pour projet d’imiter la liberté de Dieu même.

C’est là que nous voyons le mieux le salut par grâce : la dignité humaine n’est pas quelque chose qu’il faut rechercher ailleurs après avoir changé de nature ; notre dignité et notre vocation sont déjà là, quelque part en nous, et une (con)vocation divine suffit à nous la révéler, pour agir ensuite en conséquence. Le don est déjà fait, il ne reste plus qu’à valoriser ce don. La grâce, pour Moïse, c’est un cadeau exploité jusqu’à la liberté et non pas un manque angoissant qui pousse à une errance perpétuelle.

Voilà pourquoi Dieu se révèle à Moïse de cette manière : pour faire irruption dans sa vie par le long fil rouge qui traverse chacun, et l’aider à trouver sa raison d’être dans une liberté reçue et voulue pour les autres. Après Moïse, chacun d’entre nous n’a plus qu’une seule perspective : devenir soi-même un buisson ardent, émettre de la lumière et de la chaleur, sans se consumer.

Didier Petit


Photo à la une par Igor Lepilin sur Unsplash

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