Prédication du 03/10/21
Prédication par Didier Petit
Textes : Ésaïe XXV 6-9, Épître aux Philippiens IV 12-20, Matthieu XXII 1-14
Matthieu 22, 1-14
S’il n’y avait qu’une seule remarque préalable à faire sur ce texte un peu déconcertant, elle consistait sans doute à rappeler que le cœur de ces lignes n’est pas l’éviction « sévère mais juste » d’un énergumène qui n’aurait pas respecté le code vestimentaire. Si c’était le cas, la faute réprimée serait tout à fait superficiel, on se concentrait alors sur des détails insignifiants et le bénéfice à retirer de cette parabole serait bien maigre…
Au contraire, il s’agit ici de quelque chose de très profond, de tout à fait intime, et que la parabole du festin de noce nous invite à revisiter. Pourquoi Jésus décide-t-il de parler par le moyen des paraboles ? Sans doute pour suggérer à son auditoire que le Royaume est accessible par l’image, voire que le Royaume n’est lui-même qu’une image, pourquoi pas ?
Il me semble que Jésus utilise le moyen des paraboles parce que le pouvoir de la comparaison et de l’analogie est immense et sans équivalent. L’image n’est pas une simple vue de l’esprit, inconsistante et sans force. Elle ne flotte pas au-dessus de nous, comme une baudruche avant la crevaison fatale. Elle renvoie à quelque chose qui est en nous, bien enfoui, peut-être oublié, qui reste à identifier et surtout à vivre, à incarner. Voilà ce qu’est une parabole !
Dans la parabole du festin de noces, le premier public, les destinataires naturels de l’invitation, refusent le cadeau qui leur est fait. D’ailleurs, c’est un peu incompréhensible : au fond, qui résisterait à la possibilité de manger gratuitement ? En tout cas, ils ont tous quelque chose à faire, ils sont suroccupés et – surtout – prêts à tuer. Mais tuer quoi ? Ce cruel rappel des mauvaises habitudes d’Israël qui tue les prophètes qu’on lui envoie, est bien là pour nous rappeler notre propre danger, notre propre habitude à régler nos problèmes par une table rase.
C’est ce que fait cet étrange roi, dans un premier mouvement, pour essuyer l’affront qui lui est fait par une bande d’ingrats. Il éradique le mal par une expédition punitive, un peu comme un dieu qui noie une humanité incurable par 40 jours et 40 nuits de pluies ininterrompues. L’épisode a beau nous paraître implacable, et même dur, il est moralment convaincant : la méchanceté est punie ! Parfait…
Mais alors, pourquoi ce revirement incompréhensible chez le roi ? Une fois passé l’accès de colère, tous les nouveaux venus ont le droit d’entrer, les bons comme les méchants. Plus de tri sélectif, plus de poubelle jaune, plus de poubelle marron, plus de containers pour les bouteilles de bière et les pots de cornichons, on mélange tout, « venez comme vous êtes ! » Qu’est-ce qui lui arrive à celui-là ? L’analogie avec le Déluge joue encore ici : de la même manière que l’histoire de Noé montre un dieu qui change d’avis, qui se repend, le roi de la parabole semble lui aussi se repentir d’un mauvais geste. Et de la même manière qu’on peut se demander si le dieu qui ordonne l’inondation est bien le même que celui qui place l’arc-en-ciel, on peut aussi se demander s’il s’agit du même roi au début et à la fin de cette parabole du festin.
Autre manière de se poser la question : n’y at-il pas eu une conversion chez ce roi à titre indicatif ? Et si ce roi, c’était nous, plutôt que Dieu ? Et si cette parabole nous demandait simplement de nous convertir au Royaume comme on découvre un programme de vie ? Et en quoi consistait cette conversion ?
Le point de non-retour, le basculement, a lieu au moment où ce roi passe de l’expédition punitive à l’ouverture maximale, au moment où il renonce définitivement à un tri mortifère, pour mieux proposer sa richesse à tous. La voix, sa conversion, notre conversion ; ce roi qui change en passant du meurtre au pardon, c’est notre conversion : nous passons, nous aussi, de l’expédition punitive à l’accueil.
Si le texte de Matthieu s’arrête là, nous serions bienheureux de finir sur un bilan aussi positif et favorable. Se convertir au point de passer d’assassin à bienfaiteur, c’est toujours bon à prendre ! Mais c’est à ce moment-là qu’intervient la fin de notre parabole qui raconte ce curieux épisode d’un homme exclu du festin parce qu’il a fait une entorse au code vestimentaire.
De quoi s’agit-il ? C’est la deuxième métamorphose du roi de la parabole. Alors qu’il vient de vivre une conversion éclatante, le voici qui semble replonger dans une attitude d’exclusion. Mais ici, pas de mort, pas de condamnation, pas de massacre : simplement, un homme est chassé, alors même que tous les autres continuent tranquillement leur repas !
En ne revêtant pas le vêtement qui était pourtant requis pour participer à la fête, cet homme ne trouve rien à dire lorsqu’on lui en demande la raison. Il ne revendique pas, par le vêtement de fête, la joie de participer à ce Royaume où chacun a sa place. Son silence gêné dit son refus de changer de peau, puisque le vêtement est bien entendu une autre forme de peau. Il refuse de muer, c’est-à-dire, au fond, qu’il refuse la conversion qu’on lui propose. Eh bien cet homme nous ressemble beaucoup, ou bien nous lui ressemblons beaucoup. Il est une réponse possible à la proposition qui nous est toujours faite de nous convertir, c’est-à-dire de changer de peau : nous préférons parfois refuser de trouver en nous les ressources de cette conversion toujours à faire entre abandonner et accueil.
Comme l’écrit Clara Dupont-Monod dans La folie du roi Marc , « Elle se tait et mes mains quatre millent, je ne supporte pas son mutisme. Derrière son silence, je l’entends ordonner le saccage de ma vie. »
S’ouvrir aux autres, c’est justement retrouver la parole qui offre, qui redresse et qui sauve. Au contraire, se taire, c’est abandonner. Le Royaume dont il est question dans cette parabole, c’est se transformer comme on change de peau, puis s’engager dans la mission à laquelle tous sont appelés.
Didier Petit