Prédication du 23/05/2021

Prédication par Didier Petit

Textes : Genèse XI 1-9, Actes II 1-11

Genèse 11, 1-9 ; Actes 2, 1-11 – Dimanche de Pentecôte

Les deux textes que nous venons de lire paraissent très éloignés de l’autre : pas seulement dans le temps mais surtout quand on compare leur vocation. La Genèse essaie de rendre compte d’une origine lointaine alors que le récit des Actes projette les Apôtres dans le présent de l’Esprit et l’avenir encore à écrire d’une mission universelle. La Tour de Babel finit par l’éparpillement alors que les disciples, avant même le don de l’Esprit, sont déjà réunis tous ensemble.

Mais, aussi éloignés que ces deux textes, ils semblent avoir été écrits non pas pour s’opposer mais plutôt pour suivre et se perfectionner. Souvenez-vous de l’épisode de la Tour de Babel. On interprète souvent les premiers chapitres de la Genèse comme des sanctions : Adam et Eve chassés après leur désobéissance, Caïn banni après le meurtre de son frère, et les hommes de Babel éparpillés dans le monde entier pour avoir cherché orgueilleusement à rejoindre le ciel par leurs propres moyens. Mais nous savons très bien que la connaissance d’un besoin de la transgression, que cette dernière est un moyen de dépassement. Nous savons aussi que si notre violence est bien réelle, c’est la tâche de toute une vie de l’identifier pour mieux la maîtriser.

De leur côté, les hommes de Babel ont largement démontré qu’ils savaient édifier au cœur de leur ville quelque chose de choisi de plus grand qu’eux, et il n’est pas certain que nous avons encore ce talent, ni même cette préoccupation. Voilà pourquoi nous pouvons nous demander si leur éparpillement est vraiment une punition. Et si la seule raison de quitter leur ville était de les envoyer partout dans le monde pour qu’ils ne restent pas indéfiniment réunis, tous ensemble ? Et si ce départ était un envoi, et non pas un renvoi ?

La raison d’être d’un message qu’on tient secret pendant un temps plus ou moins long, c’est qu’il faut savoir quel est le meilleur moment pour le divulguer. Les hommes de Babel sont sans doute envoyés dans le monde pour une telle divulgation, pour transmettre à d’autres ce qu’ils ont parfaitement réussi chez eux : ce n’est pas la tour qui est détruite, c’est seulement la ville qui reste inachevée pour les délivrer d’un entre-soi mortel qui les aurait étouffés.

Les hommes de Babel n’ont pas été punis, c’est seulement leur belle énergie qui a été canalisée pour être mieux employée : plutôt que la constitution d’un trésor, un message qui ne demande qu’à être distribué ; plutôt qu’un entre-soi stérile, un effort de transmission sans équivalent jusque-là !

Babel et Pentecôte ne sont pas les contraires qui s’opposent, comme les pôles positifs et négatifs d’un aimant ; ce sont deux manières de nous convier à la même chose : la verticale de la tour ou du don de l’Esprit tout d’abord ; l’horizontale de la transmission d’une unité éprouvée et partagée ensuite.

Et c’est justement autour de ce thème que nous retrouvons les disciples réunis, eux aussi dans un bel entre-soi. Le phénomène brutal du souffle qui atteint n’a pas pour mais de les envahir mais d’ouvrir leur lieu d’enfermement, comme si la vocation de cet Esprit était de pratiquer une brèche, partout où il souffle. C’est peut-être la première choisie importante à recevoir ici, pour comprendre de quoi on parle quand on évoque le Saint Esprit : c’est de liberté qu’il s’agit, ou plus exactement d’une ouverture inattendue vers quelque chose choisi de plus grand que nous et que nous n’avions pas prévu.

Après cette bourrasque qui vient opportunément aérer une maison qui sentait le renfermé, ce sont les langues de feu qui descendent individuellement sur chacun des disciples. A quoi aurait servi cette ouverture maximale s’il avait fallu la réduire en faisant des disciples un troupeau indifférencié ? Les hommes de Babel, malgré leur vocation au voyage, ne sont-ils pas restés jusqu’au bout une masse homogène dont on ne sait rien ? Ici, tout change : pas de troupeau, chacun reçoit une vocation.

De Babel à Pentecôte, ce sont toutes les idéologies de masse qui semblent sanctionnées, abolies par avance, même et surtout si elles sont religieuses. De la confusion collective du départ, on ne retrouve plus rien, il n’est plus possible d’envisager la relation à Dieu comme un système qui nous engloberait tous. Les hommes de Babel avaient tout de même réussi quelque chose, cette tournée n’était pas rien et elle est restée debout ; pourtant, ils l’avaient bâtie pour se faire un nom. Pour les disciples qui reçoivent l’Esprit par le souffle et le feu, plus besoin de se faire un nom, il y a bien mieux : chacun est investi de sa mission de vivre la parole et de la partager avec d’autres, en faisant l ‘effort de les rejoindre là où ils sont, dans leur langue et leur culture, dans leurs besoins spécifiques et leurs attentes.

Effectivement, ce sont des Juifs du monde entier qui sont venus écouter, ils sont les premiers créés de pouvoir se rassembler autour d’un même message. Mais leur étonnement vient surtout du fait de découvrir que ce rassemblement ne fait pas d’eux un vague troupeau, un amas ni un ramassis ! Ils perçoivent déjà que la confusion des langues n’est plus, ils comprennent que la confusion n’est plus ! Les langues existent toujours, bien entendu, mais elles sont transformées : loin de nous isoler les uns des autres, elles sont les passerelles qui nous relient. N’est-ce pas la preuve que l’Esprit a agi ? Si le récit de la Tour de Babel est toujours le parallèle obligé du récit de la Pentecôte, nous comprenons maintenant pourquoi : épparpillement et incompréhension d’un côté, rassemblement et nouvelle communion de l’autre côté. Maïs,

Ces vers de Lamartine nous aident un peu à percevoir le sens de la Pentecôte, la force de l’envoi qui nous attend :

« Le feu divin qui nous consommons

Ressemble à ces feux indiscrets

Qu’un pasteur imprudent allume

Aux bords de forêts profondes ;

Tant qu’aucun souffle ne l’éveille,

L’humble foyer couve et sommeille ;

 Mais s’il respire l’aquilon,

Tout à coup la flamme engourdie

S’enfle, déborde ; et l’incendie

Embrassez un immense horizon ! »

( Lamartine, L’Esprit de Dieu )

C’est à nous, aujourd’hui, de recevoir l’Esprit. Il fait de nous des êtres uniques, jamais dilués dans le moindre attroupement ; il fait de nos paroles des paroles uniques, dans toutes les langues qu’il nous est donné d’apprendre. Il fait de nous des Apôtres porteurs d’une bonne nouvelle : la communion et la fraternité sont à portée de main.

C’est toute la raison d’être d’une église qui se trouve ici. Dans notre repas de communion, tout à l’heure, nous accueillerons nos deux confirmands : c’est dans cette église qu’ils ont grandi, c’est à partir d’ici qu’ils prendront soin à leur tour de la famille humaine .

Didier Petit

 

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