Prédication du 10/01/2021
Prédication par Didier Petit
Texte : Marc I 7-11
Marc 1, 7-11
Apparemment, le désert est un univers que nous connaissons bien. Pour la plupart d’entre nous, l’existence semble se dérouler dans une sorte de désert, tant notre vie semble aussi uniforme que l’immensité des sables. Nous évoluons, à part quelques exceptions, dans un univers où tout se ressemble.
Pour la plupart d’entre eux, les humains semblent occupés à faire la même chose que leurs semblables. Ils travaillent dans des bureaux, des salles de classes, des laboratoires qui se ressemblent, ils s’alimentent dans les mêmes chaînes de supermarchés, ils sont informés par les mêmes médias, empruntent des routes ou des rames de métros identiques. Les rues des villes sont remplies aux mêmes heures de gens qui font la même chose. Et quand les rues sont vides, ceux qui les remplissaient quelques heures auparavant sont de retour chez eux en train de faire les mêmes choses que les autres.
Chacun, à sa manière, a l’impression de traverser le même désert en compagnie des mêmes personnes avec qui il établit de pauvres relations de voisinage qui le confortent dans son impression de solitude. Voici le désert quotidien de millions d’individus. Chacun est à l’affût d’une oasis d’espérance, chacun s’efforce alors de cultiver une enclave de vie privée pour échapper autant que possible à la banalité du désert commun.
Une religion peut sans doute – et sous certaines conditions – faire partie de ces jardins privés qui nous distinguent de nos voisins. Il devient alors confortable de penser que cette activité tient lieu d’asile hors du monde où notre personnalité peut s’épanouir en toute quiétude.
Cette traversée du désert qui est la nôtre ne ressemble pas à celle de Jésus, quand il a été tenté par le diable ! Si notre désert personnel n’est apparemment pas un lieu de tentation, tant il ressemble à celui du voisin, ce sont nos oasis, nos lieux de refuge qui pourraient appartenir à l’univers de la tentation.
La tentation consiste pour nous à chercher des lieux de refuge à l’écart des autres. Il s’agit de chercher des lieux de confort où seuls les privilégiés de notre choix peuvent nous rejoindre. Nous nous trouvons bien dans nos paroisses. Confortablement installés dans notre vie religieuse, nous déplorons l’absence des foules, sans vraiment souhaiter que ça change, tant nous nous plaisons à nous retrouver entre nous.
Une des tentations de Jésus fut assez proche de celles que nous venons de décrire. A la différence des autres Évangiles, Marc ne dit pas quelles furent les tentations de Jésus. Libres à nous de les imaginer semblables aux nôtres. Marc fait état cependant de ce même confort spirituel où semble se trouver Jésus. Son baptême et la voix qui se fait entendre l’ont conforté dans la certitude que Dieu l’avait mis à part. Sa prédication laisse entendre qu’il était venu pour transformer la vie des hommes. Mais était-ce vraiment possible ?
Jésus apportait une nouvelle forme de religion basée sur le « culte en esprit » qui appelait une démarche de conversion pour ceux qui le suivaient. Ils devaient naître de nouveau ! Ne leur disait-il pas que Dieu les attendait dans le secret de leur cœur ? Encore fallait-il en avoir capacité ! C’est à se demander si Jésus ne préconisait pas une religion élitiste ?
La tentation était grande pour les amis de Jésus de constituer un peuple à part au milieu des masses et de se distinguer comme une nouvelle secte, supérieure aux autres ! Plus tard, on trouvera ce même comportement dans les communautés chrétiennes de toutes les époques : n’appartenons-nous pas à un petit cercle de gens supérieurs ?
Mais le danger véritable de cette situation, c’est que ce soit le diable qui nous rejoigne dans notre refuge de pureté. Si Jésus a été tenté de s’enfermer dans le cercle privilégié de ses disciples, il s’est bien vite séparé de cette manière de voir, pour entraîner les siens sur les routes, à la rencontre des autres. Ils ont dû le suivre dans les déserts de Galilée et de Judée là où la souffrance et la misère des hommes les attendaient. C’est alors qu’ils ont croisé toutes sortes de malades, toutes sortes de païens en quête de vérité, toutes sortes d’hommes et de femmes impurs avides d’espérance.
A tous ces meurtris du voyage, il savait parler de foi, de conversion, de vie en esprit et de vie intérieure. Tous ces gens considérés comme incapables de comprendre, comprenaient, se convertissaient et changeaient leur vie. Plus tard, ce ne sont pas ces gens-là qui ont voulu la mort de Jésus, mais ceux qui auraient dû être accessibles à ses paroles, ceux qui déjà s’étaient séparés des autres pour vivre dans leurs oasis de séparés, ceux qui ont cru jusqu’au bout qu’ils étaient les « purs »…
Quand Jésus parlait de pardon à ceux qui le suivaient, il signifiait que le jugement final avait déjà été prononcé et qu’ils étaient graciés. Quand il parlait de partage, il commençait lui-même par partager ses provisions, c’est pourquoi on a crié au miracle quand il l’a fait ! C’est pourquoi on a raconté cet événement d’une manière merveilleuse dans les Évangile et que cet événement est devenu le miracle de la multiplication des pains. Quand il parlait d’espérance, Jésus souhaitait que ses paroles auraient un effet immédiat et que les bourses des plus fortunées allaient se délier en faveur des plus pauvres. Il croyait que la conversion vers une société plus juste allait se produire effaçant les différences trop grandes.
Ses paroles avaient beau résonner avec les accents de la parole de Dieu, elles n’étaient pas forcément suivies d’effet. Ses paroles visaient à ouvrir les portes de toutes les oasis et de tous les confortables refuges spirituels, mais il a vite perçu que le miracle ne se produirait vraiment que s’il payait de sa personne en mourant pour ses idées. Ce n’est qu’après sa mort que sa parole est devenue parole de vie et parole de Dieu à la fois. La mort même a cessé d’être l’étape ultime de l’existence, parce que, en livrant sa vie aux mains des hommes, il a reçu ainsi que tous ses amis une vie éternelle que Dieu seul pouvait donner.
Ce ne sont pas les déserts humains de nos sociétés qui sont les lieux de tentation pour ceux qui parcourent aujourd’hui un chemin de foi, ce sont les lieux où la chaleur spirituelle risque de nous maintenir à l’écart des autres. Le défi qui nous est posé aujourd’hui est de convertir nos églises en lieux de vie sans qu’elles soient menacées de disparaître dans l’anonymat du désert humain où nous vivons. C’est cet équilibre que nous devons trouver pour que notre propre vie et nos églises comme lieux de vie ne soient ni des déserts d’indifférence ni des citadelles de certitudes fermées à toute influence extérieure.
La société française, comme les autres sociétés européennes et, au-delà, le « monde occidental » donnent fréquemment l’image du désert : la grisaille, l’indifférencié, la médiocrité techno-marchande comme seul horizon, l’absence d’identité marquée et une libre circulation des personnes et des biens qui fait ressembler notre continent à un hall de gare ouvert à tous les courants d’air, sans projet de vie bien déterminé… Mais les citadelles de certitudes existent aussi et elles sont dangereuses : elles se présentent comme des petits ilots de résistance à la réalité ambiante et ce qu’on y trouve fait parfois froid dans le dos, dans certains groupuscules ou sur internet.
Pour ce qui est de notre désert, il faudra trouver un nouvel équilibre entre appartenance et liberté, équilibre qui seul répond à tous nos besoins. Du côté des citadelles de certitudes, il faudra démanteler patiemment, pierre par pierre, les remparts qui rendent fous-furieux ceux qu’ils sont censés protéger. Une fois ces barrières levées, nous pourrons nous parler…
Didier Petit