Prédication archivée du 18/04/2010

Prédication par Bernard Picinbono

Textes : Luc IV 16-21, Romains VI 17 et 22, Galates V 1-2 et 13-14

La déclaration de foi de l’Église Réformée de France que nous lisons lors de nos assemblées générales de paroisse ou lors de nos synodes contient ce membre de phrase : « Fidèle aux principes de foi et de liberté sur lesquels elle est fondée … ». La page d’accueil du site internet de notre paroisse présente une Bible encadrée par ces mots « protestants, une parole de liberté ». Les statuts de la Cimade comportent un article de définition précisant que la Cimade « est une des formes du service que les églises veulent rendre aux hommes au nom de l’Évangile libérateur ». Voici trois textes, et l’on pourrait en trouver bien d’autres, mettant la liberté au centre de la foi, du témoignage et du service de l’Église. On est donc naturellement conduit à s’interroger sur l’origine et l’usage de ce mot dans le témoignage biblique. Pour ceci on peut rechercher les mots qui dans les langues d’origine sont traduits par celui de liberté dans notre langue, à en comprendre l’usage et à en évaluer l’importance par rapport à d’autres mots dont le poids est attesté par leur très fréquente utilisation. Un constat brutal s’impose alors. La racine hébraïque khafach qui est celle de la plupart des mots hébreux liés à la liberté n’apparaît qu’une vingtaine de fois alors que la racine du mot opposé eved qui en son premier sens signifie l’esclavage, c’est-à-dire le contraire de la liberté, apparaît près de mille fois ! La situation est sensiblement la même dans le Nouveau testament grec. Le mot éleuthéria (liberté) apparaît une dizaine de fois alors que doulos (esclave) le fait près de deux cent fois ! Ainsi vu sous cet angle très simple, voire simpliste, le concept de liberté paraît relativement marginal et on peut donc s’étonner qu’il ait pris un tel poids dans nos textes ecclésiastiques. Mais cette vision doit être nuancée par différents arguments. L’hébreu, que la tradition juive considère comme la langue sacrée, est, à la différence du grec, une langue très concrète et peu tournée vers les concepts abstraits. La relative absence du mot ne signifie pas que l’idée, et même la réalité, qu’il décrit soient aussi absentes. Cette réalité est souvent décrite par des mots beaucoup plus concrets tels que laisser, laisser partir, affranchir, sauver, faire sortir. Ce dernier mot est peut-être le plus important et il renvoie à l’événement central de la foi juive qui est la sortie d’Egypte relatée dans la première phrase du décalogue. Il s’agit bien d’une libération de l’esclavage et l’acte de libération est beaucoup plus important que le concept de liberté. Dans ce sens le texte de la Cimade est plus fidèle à la démarche biblique quand il parle d’Évangile libérateur. Car si le mot de liberté est absent des évangiles, toute l’action de Jésus-Christ vise à une libération. Ceci figure explicitement dans sa première prédication dans la synagogue de Nazareth (Luc 4/18) où il cite le texte d’Esaïe. Et curieusement Luc, qui utilise probablement le texte de la Septante, prend le mot aphesis qui en son sens premier veut dire laisser, alors que c’est bien la racine khafach qui figure dans le texte hébreu. On peut remarquer que c’est ce mot grec que l’on retrouve dans le Notre Père quand on y parle de la remise des dettes que depuis Saint-Jérome on traduit par le pardon. C’est évidemment Paul qui fait l’usage le plus fréquent du mot liberté, de manière d’ailleurs pas toujours très claire, et sur laquelle nous reviendrons. À ce stade de notre enquête on peut convenir que, en dehors des textes pauliniens, Bible hébraïque comme Nouveau Testament parlent beaucoup plus de libération que de liberté. Pour le premier testament ceci se traduit par l’idée évoquée par ceux que les juifs appellent « nos sages » consistant à dire que la libération précède la création. Dans un texte où la signification des lettres est de première importance, certains de ces sages se sont demandé pourquoi la Bible commençait par un B (première lettre hébraïque du début de la Genèse) et non par un A. Une des réponses apportées à cette interrogation consiste à dire que le texte fondateur n’est pas celui du récit de la création mais celui du décalogue qui commence par le A de anokhi (moi-même), « le Seigneur ton Dieu qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison des esclaves (avad) ». Ce mot, cité plus de mille fois, est à double sens, ce qui fait sa richesse. Dans un sens négatif il signifie l’esclavage, la servitude, et c’est ce qui apparaît dans le verset qui vient d’être cité. Dans son sens positif il signifie le service, l’action de l’homme. C’est ce que l’on voit dans la première intervention de Dieu à son égard (Gen. 2/15) : « Le Seigneur Dieu prend l’homme et le place dans le jardin d’Eden pour le servir et le garder ». Ceci signifie que l’homme est créé pour le service et dans la langue moderne le terme avoda issu de la même racine signifie simplement le travail. Dans la libération que relate l’Exode le peuple passe du service de Pharaon, qui est un esclavage, à celui de la Tora, qui est signe de libération. La figure centrale de ce passage est évidemment Moïse dont Dieu dit qu’il est « mon serviteur, mon homme de confiance, humble plus que tout homme sur la terre » (Nb. 12). L’image du serviteur traverse tout le premier testament et culmine dans le thème du serviteur souffrant (Es. 53/11) « Lui, mon serviteur, au profit des hommes, du fait que lui-même supporte tous leurs torts ». Le texte de la Cimade cité au début a bien vu cette dualité service libération. Dans le langage de l’apôtre Paul ceci s’exprime dans quatre textes fondamentaux. « C’est pour la liberté (eleuthéria) que Christ nous a libérés. Tenez ferme et ne vous remettez pas sous le joug de l’esclavage (doulos). Moi Paul je vous dis… » (Gal. 5/1) et il suit un paragraphe sur l’inutilité de la circoncision pour les paganochrétiens. Un peu plus loin Paul ajoute (Gal. 5/12) « Vous avez été appelés à la liberté. Que votre liberté ne devienne pas un prétexte pour la chair. Mais par l’amour mettez vous au service (doulos) les uns des autres », idée qu’il reprend dans la lettre aux Romains « Libérés du péché, vous êtes devenus esclaves de la justice » (Rom. 6/17) et « Libérés du péché et devenus esclaves de Dieu, vous portez en vous des fruits qui conduisent à la sanctification » (Rom. 6/22). Tous ces textes nous conduisent aux remarques suivantes. Paul ne parle jamais de liberté sans la relier à un nouveau couple service-esclavage. Aux esclaves de Pharaon libérés pour le service de la Tora il associe les esclaves du péché libérés pour le service de la justice. Ainsi la libération n’est pas un mouvement qui va permettre à l’homme de s’épanouir pour lui-même mais un passage de l’esclavage au service. Mais ce service n’est pas quelconque. « Mettez-vous au service les uns des autres ». Ainsi le nouveau pays de Canaan ouvert par la libération du Christ est le service des autres. Nous sommes aux antipodes de la conception de la liberté héritée de la philosophie des lumières et aboutissant à la révolution française. Dans cette conception la limite de ma liberté est celle des autres, et cette limite doit être fixée par la loi. On en a un exemple aujourd’hui avec les projets de loi sur la burka qui tentent de trouver une limite à la liberté vestimentaire. Chez Paul on est à l’opposé : le prochain n’est pas celui qui va poser une limite à ma liberté mais au contraire son lieu d’épanouissement dans le service. La première conception est ce que Paul appelle la liberté selon la chair : son centre se trouve en l’homme, pour lui-même et en vue d’épanouir son autonomie. La liberté en Christ dont parle Paul a son centre dans le prochain. C’est ce que Bonhoeffer appelle la grâce qui coûte opposée à la grâce à bon marché. Et pourtant Paul ajoute « Ne vous remettez pas sous le joug de l’esclavage ». Il parle alors de l’esclavage de la loi (Tora) dont une des marques est la circoncision. Il ne s’agit pas d’une sorte de libéralisme pratique opposant une circoncision du cœur (Rom. 2/29) à celle du corps mais d’une conviction théologique qu’il formule ainsi « Si vous placez votre justice dans la loi, vous êtes déchus de la grâce ». Ainsi l’opposition à la Tora n’est pas une opposition au légalisme que peut entraîner l’application stricte des commandements et contre lequel Jésus s’est plusieurs fois emporté dans ses malédictions « Malheur à vous scribes et pharisiens hypocrites ». Mais pour Paul se soumettre à la loi c’est en fait rompre avec le Christ. Cette double polarité « liberté-service » Luther l’a bien résumée par sa formule saisissante de clarté et de fermeté du traité de 1520 sur la « liberté du chrétien » : « le chrétien est un libre seigneur de toutes choses et il n’est soumis à personne. Le chrétien est un serviteur obéissant en toutes choses et il est soumis à tous ». Il s’agit d’une liberté absolue parce que fondée en Christ et non dans nos droits, nos besoins, nos désirs ou notre intelligence. Mais il s’agit d’un service absolu car c’est dans l’autre que l’on retrouve le visage et l’appel du Christ. C’est un chemin difficile, apparemment contradictoire, que Jésus nous invite à suivre. Mieux il le trace pour nous. Que sa force et sa main tendue soient notre force et notre joie. AMEN !

Bernard Picinbono

 

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