Prédication du 23/07/2023

Prédication par Didier Petit

Textes : 2 Corinthiens VIII 7-15, Marc V 21-43

 

Marc 5, 21-43 (+ 2 Corinthiens 8, 7-15)

Notre texte du jour se situe entre une guérison difficile d’un démoniaque et un témoignage assez compromis à Nazareth, entre deux échecs relatifs. C’est l’annonce du succès possible des missions de l’Église, malgré les difficultés diverses, malgré les imprévus. Le long passage que nous venons de réentendre est fait de deux histoires différentes qui s’entrecroisent. Il y a d’abord ce responsable religieux – Jaïrus – qui se précipite vers Jésus en le suppliant de faire quelque chose pour sa petite fille qui est mourante. Jésus ne dit absolument rien, il part immédiatement compte tenu de l’urgence !

À ce moment-là arrive une femme qui bouleverse complètement le cours des choses, elle déroute Jésus au sens fort du terme : elle lui fait prendre, pendant un moment, une autre route. Et finalement, elle est guérie grâce à sa propre initiative, sa propre recherche, et Jésus n’a plus qu’à lui demander de se montrer pour lui adresser la parole.

Mais entre temps, la fille de Jaïrus est morte. Du moins, c’est ce qui se dit… Ce qui devait être la priorité des priorités s’est transformée en drame. Jésus aurait-il oublié sa mission au point de laisser mourir une petite fille, tout cela pour s’occuper d’une femme dont le mal était moins préoccupant et qui, de toute façon, attendait déjà depuis 12 ans ? Elle ne pouvait pas attendre une ou deux heures de plus, cette brave dame ?

Mais Jésus ne renonce pas. Il est parti pour voir cette petite fille, il la verra. Peu importe les rires un peu coincés de ceux qui n’y croient plus. Et cette petite fille se relèvera, un peu affaiblie sans doute, mais en bonne santé. Remise debout après un temps où elle semblait devoir disparaître, elle fera ce que fait chacun d’entre nous au moment du réveil : manger pour reprendre les forces nécessaires pour affronter une nouvelle journée.

Ce double récit nous apprend beaucoup de choses, je crois, sur ce que peut être (ou devrait être) une église. Il y a dans les paroles et les gestes de nos personnages toute l’organisation et le discernement mais aussi toute la spontanéité et la foi dont nous devons faire preuve pour être une église à la fois solide et mobile. Puisque l’un de va pas sans l’autre…

Ce qui frappe en premier lieu, c’est qu’une église en mouvement est capable de se laisser dérouter comme Jésus l’a fait, elle peut ou doit pouvoir se laisser trouver par ceux qui cherchent. Ce n’est pas évident d’avoir cette souplesse, parce que nous pensons la plupart du temps que c’est la partie organisée et stable qui, essentiellement, nous permet d’assumer notre mission : annoncer l’évangile, en paroles et en actes. Et c’est loin d’être faux, bien entendu. D’autant plus que, dans toutes nos activités professionnelles ou personnelles, l’étourderie ou l’éparpillement ne sont pas encouragés, c’est le moins qu’on puisse dire ! Et il y a d’excellentes raisons pour cela.

Pourtant, si nous n’avons que cette belle machine bien huilée à proposer, nous risquerons souvent de manquer l’objectif puisque, encore une fois, il est hautement prévisible qu’il y aura de l’imprévu. Autrement dit, il faut accepter l’idée que nos calendriers ne prévoient qu’approximativement ce qui arrivera. C’est plus facile à dire qu’à faire car nous redoutons de voir nos vies nous échapper. Il faut pourtant assumer cette part de risque.

Ce risque étant à prévoir, il n’en résulte pas un surcroît d’angoisse, au contraire. C’est une église plus confiante qui naît à ce moment-là. Jésus se laisse dérouter et qu’est-ce qui arrive ? Il est prêt ! Prêt à dire : « Qui a touché mon vêtement ? » Ce « Qui ? » ouvre directement sur un « Où es-tu ? » Il ne reste plus qu’à celui ou celle qui cherche le Maître à lever la main pour dire « C’est moi ! »

Encore faut-il avoir en soi assez de disponibilité. Ceux qui font remarquer à Jésus qu’il est arrivé trop tard, pensent qu’il n’y a plus rien à faire. Nous avons tous du mal avec l’irrémédiable. Les objets, l’argent ou le temps que nous perdons sont souvent irrémédiablement perdus et nous ne l’acceptons pas. Nos échecs nous accablent et la mort qui nous menace tous n’a de place dans notre vie que parce que nous la repoussons. C’est pour cela que nous avons envie de donner raison à ceux qui reprochent à Jésus d’avoir pris un chemin de traverse.

Pourtant, l’irrémédiable ne se trouve pas forcément où nous le croyons. Nous le voyons bien aujourd’hui sous la plume de Marc : de nouvelles priorités s’imposent à nous et il faut être prêt à y faire face. La résurrection qui est évoquée dans notre texte nous renvoie peut-être à cette capacité confiante de retrouver des priorités écartées pendant un temps plus ou moins long. La mission dans laquelle le Maître nous envoie est constamment suscitée, re-suscitée. Au fond, c’est elle qui ne nous perd pas de vue. Nous pouvons donc bien consentir à être déroutés de temps en temps puisqu’elle est à la fois la route et tous les chemins de traverse possibles et imaginables…

Il faudra donc, pour nous rendre disponibles, nous interroger sur la qualité de notre rire. Celui qui accueille Jésus au moment où il retrouve le fil de sa mission est un rire de doute, un rire narquois et désespéré qui grince comme une vieille porte rouillée. Redisons-le : il est momentanément nécessaire. C’est lui qui nous rappelle nos priorités, c’est lui également qui exprime le sérieux avec lequel nous envisageons notre mission. Il faut pourtant le dépasser pour travailler à une église où ce qui s’impose spontanément n’est pas une gêne ni une bizarrerie.

Si nous sommes cette église qui se laisse dérouter un moment pour mieux retrouver sa mission, nous arrivons alors à ce que l’apôtre Paul dit dans le deuxième texte proposé aujourd’hui : « Celui qui avait ramassé beaucoup n’avait rien de trop et celui qui avait ramassé peu ne manquait de rien ! » Paul évoque ici l’Ancien Testament, dans le livre de l’Exode, l’épisode de la manne dans le désert. Dieu nourrit son peuple de telle sorte que personne ne manque de rien. Une fois que nous nous laissons volontiers surprendre ou dérouter, que se passe-t-il ? L’évangile et la vie reprennent leurs droits ! La petite fille se remet debout, assistée par un petit cercle d’intimes : le Maître, trois disciples et la famille proche. Et puis, c’est le repas où il est temps de reprendre des forces.

Cette petite fille, c’est la vie de chacun d’entre nous, mais c’est aussi notre église. Jésus n’en est jamais absent, tout au plus indisponible pendant un court instant pour cause de mission temporaire. « Lève-toi petite fille ! » signifie : « Lève toi (ou relève-toi) petite église ! J’ai encore beaucoup de choses à te confier, le travail n’est pas achevé, loin de là. Pour affronter ce qui t’attend, il te faudra pas mal de confiance, une souplesse suffisante pour accomplir à la fois ce que tu as prévu de faire mais aussi tout ce qui pourra te surprendre en cours de route. Et pour commencer cette longue journée, cette longue vie qui t’attend, tu dois prendre des forces. Viens, la table est déjà prête ! » Et c’est exactement ce que nous faisons chaque fois que nous partageons ici le pain et le vin.

Dans le texte d’aujourd’hui, nous pourrions incarner beaucoup de personnages : Jésus lui-même, sans doute, en nous appropriant ses paroles et ses gestes, ou bien la petite fille qui a bien besoin d’être relevée (ou re-suscitée) comme nous venons de le voir. Mais nous pouvons aussi voir notre église dans la foule qui presse Jésus de toute part, acteur anonyme dont on ne dit pas grand-chose. Pourtant, cela dit aussi quelque chose d’intéressant de notre église, de ce qu’elle peut et doit être au quotidien. Cette église/foule est peut-être un peu à l’étroit, comme dans les transports en commun, mais tous partagent le même lieu et se déplacent dans la même direction, quand bien même les destinations de chacun seraient différentes. Une église comme espace de liberté, en quelque sorte…

Amen.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.