Prédication du 09/04/2023

Prédication par Didier Petit

Textes : Actes X 34-43, 1 Corinthiens V 6-8, Matthieu XXVIII 1-10

 

Matthieu 28, 1-10

L’idée de disparaître nous semble insupportable, nous ne pouvons pas accepter facilement que nous sommes petit, éphémères, et que nous ne laisserons probablement aucune trace de notre passage. Si notre ego remplaçait l’espace réel qu’occupe notre corps, nous aurions déjà atteint les limites de l’univers, nous en aurions même déjà fait le tour… Disparaître sans laisser de trace est une chose qui nous hante et si nous parvenons à accepter de devoir un jour laisser la place à d’autres, c’est le « sans laisser de trace » qui nous chagrine le plus. Ephémères, passe encore ; insignifiants, c’est au-dessus de nos forces !

C’est sans doute pour cela que nous nous accrochons à l’idée que quelque chose de nous subsiste, qu’une trajectoire – même courte – est bien tracée quelque part dans l’histoire du monde. Après tout, nous pouvons faire preuve d’un esprit d’invention, nous sommes capables de façonner en partie le monde par nos découvertes, nous avons réussi à nous adapter à un monde qui ne nous fait pas que des cadeaux, le « croître et multiplier » de la Genèse nous a plutôt bien réussi. Des espèces préhistoriques, autrement plus puissantes que nous ont disparu, l’homme est toujours là. Des épidémies et des famines terribles ont menacé notre espèce, mais nous avons réussi à survivre. En somme, nous avons bien employé la principale ruse pour ne pas disparaître : être nombreux. Mais, individuellement, la ruse de la quantité nous fait une belle jambe : aucun d’entre nous, à titre personnel, n’accepte d’être englouti sans que sa propre trajectoire ait une valeur à ses yeux.

Quoi qu’il en soit, notre intelligence réellement à l’œuvre dans certains domaines – notamment techniques – où notre inventivité paraît sans bornes, semble mise en échec dans la gestion difficile de nos affects et de nos appétits. Nous sommes très doués avec les choses, un peu moins avec l’animal que nous sommes toujours… Quant à notre conversation avec le Dieu dont Jésus est le témoin, elle est épisodique, hachée, en pointillés…

Ce n’est pourtant pas comme ça que la Bible présente l’histoire de Dieu à nos côtés : on y apprend que cette conversation devrait être une priorité, qu’elle est le meilleur moyen de trouver le sens et la valeur de ce que nous sommes. On y apprend aussi que si l’image de Dieu est en mille morceaux, il est possible de reconstituer peu à peu ce miroir cassé. Voilà pourquoi Dieu se révèle à Abraham en lui apprenant à se considérer comme un nomade en quête de sa véritable patrie, n’importe où sauf là d’où il vient. Voilà pourquoi il se fait connaître à Moïse, voilà pourquoi il parle par les prophètes puis par Jésus. Tous tracent un chemin de reconstruction de ce qui est abîmé ; tous montrent une manière de répondre à la question : « Où est-ce, chez moi ? »

C’est parce que nos devanciers ont cherché cette intimité qu’ils ont fini par discerner un Tout-Autre qui devient un Tout-Proche ; c’est parce qu’ils ont accepté de faire ce voyage qu’ils ont trouvé le trésor caché : non pas cartographier sans fin le chaos terrestre, mais trouver le Dieu en soi, comme on trouve une Terre Promise ou un Royaume.

Pour nous aussi, ce voyage a un but, et il n’est pas de laisser une trace dans l’histoire, un sillon quelconque dans le sable. Il y a certainement des racines à trouver chez ceux qui nous précèdent puisque ce qu’ils appelaient « Dieu » travaillait déjà en eux, et nous ne sommes pas fondamentalement différents d’eux. Mais nous devons reprendre cette quête à nouveaux frais, ce voyage d’Abraham très personnel et intérieur qui, peut-être, nous permettra de répondre pour nous-mêmes à la question « Où est-ce, chez moi ? » Prise de conscience, éveil à de nouvelles dimensions de la vie, peu importe : il faut retrouver la piste et la suivre librement, puisque Dieu n’a jamais tiré qui que ce soit par la manche.

Il serait plus simple d’être sur des rails et de se contenter de regarder le paysage par la fenêtre, c’est ce qu’on peut faire en voyageant en train. Mais en étant seul au volant, il faut préparer l’itinéraire, être vigilant, ne pas s’endormir, éviter de se tromper, surveiller ce que font les autres, s’occuper de tout. C’est plus fatigant. La vie spirituelle qui nous est proposée tient davantage de l’aventure désirée que du simple trajet passif. Le récit du tombeau vide est sans doute le modèle de ce voyage. Jésus a sans doute été mis au tombeau, mais la foi des disciples au matin de Pâques a été suffisante pour rouler la lourde pierre qui en bouchait l’entrée : ils devaient trouver en eux assez de confiance pour dépasser la tragédie, refuser l’échec et faire revivre le Maître disparu dans leur propre vie. Et c’est exactement ce qu’ils ont fait. Pour eux autrefois, comme pour nous aujourd’hui, c’est cela la résurrection.

Une fois la piste retrouvée, il faut la suivre pour que notre vie trouve sa valeur, elle nous est donnée par ce Maître que nous essayons de faire revivre à travers nous, ce Maître que nous tentons d’incarner au sens fort. La grâce première de ce tombeau vide ne vient pas de nous, il y aura toujours ce devancier si particulier qu’a été Jésus, nous nous contentons de suivre la piste. La modestie protestante, rassurez-vous, n’aura pas à en souffrir ! Mais sans notre goût personnel pour le voyage, rien ne peut se faire. La résurrection est sûrement un don, un cadeau même, mais ce don reste un bibelot qui prend la poussière s’il n’y a pas d’efforts de notre part.

Si la résurrection apparaît, à un moment où un autre, comme le résultat d’un chemin parcouru, l’aboutissement d’une quête, c’est parce que notre désir de prendre ou reprendre la route est avant tout un acte créateur de Dieu : la décision du départ est venue de là. Mais c’est la suite du voyage qui nous intéresse, là où la route nous mène. La résurrection n’a aucun intérêt si elle est un fait historique qu’il faut retrouver dans un passé très ancien, sans garantie de résultat ; elle n’a aucun intérêt si elle fait de nous des paléontologues spirituels. C’est le meilleur moyen de se retrouver coincé dans le passé, c’est-à-dire coincé dans une quête impossible de l’origine.

Dans un roman de science-fiction intitulé « Voici l’Homme », l’auteur américain Michael Moorcock raconte l’histoire d’un homme qui a inventé une machine à remonter dans le temps, et qui se fixe comme objectif de revenir en Palestine sous occupation romaine, quelques années après la mort supposée de Jésus pour vérifier si tout ce qu’on a raconté à son sujet est vrai ou non, en particulier sa résurrection. Sa machine atterrit au bon endroit et à la bonne époque, il commence son enquête et s’aperçoit que les gens qu’ils croisent ne comprennent pas du tout de qui il parle et ignorent tout d’un soi-disant Jésus. Heureux de pouvoir revenir à son époque pour révéler que tout cela n’était qu’une farce, il retourne vers sa machine, s’y installe mais constate qu’elle ne redémarre plus, sans doute à cause d’un choc important au moment de l’atterrissage. Le voilà coincé à une époque qui n’est pas du tout la sienne ! La suite du roman explique comment cet homme décide de devenir lui-même Jésus, puisqu’il est le seul – en bon exégète – à connaître ses paraboles et autres enseignements. Et très logiquement, il finit crucifié, probablement parce que ses petites histoires ont lassé tout le monde. La seule différence avec le récit biblique, c’est qu’il n’y a pas de résurrection.

Je ne sais pas si Michael Moorcock a tenté de nous convaincre dans ce roman que le meilleur moyen de prouver l’inanité de toute religion, c’est encore d’en inventer une de toutes pièces, mais c’est bien possible. Ce qui importe surtout, pour nous, c’est de comprendre que vivre résolument ce qu’est pour nous la résurrection ne peut pas être le résultat d’une enquête qui nous enfermerait dans le passé aussi sûrement que le personnage de ce roman. Finir englouti dans le passé est le pire moyen de répondre à la question « Où est-ce, chez moi ? » Les disciples qui ont refusé l’échec de la disparition de leur Maître ont choisi une tout autre manière de voyager : ils sont partis vers l’avenir avec l’enseignement reçu, ils ont littéralement incarné le Maître pour le perpétuer et le faire vivre dans leur propre existence.

En fuyant un passé qu’aucune machine de peut revisiter, ils nous ont orientés vers la seule quête possible : l’espérance qui est en nous face au défi d’un monde surprenant et dangereux mais aussi rempli de possibilités à découvrir. La résurrection est un voyage. Elle l’a toujours été.

 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.