Prédication du 02/04/2022

Prédication par Didier Petit

Texte : Matthieu XX1 1-11

 

 

Matthieu 21, 1-11

Nous connaissons bien le décor de cette arrivée triomphale de Jésus à Jérusalem : les éléments sont traditionnels, bien identifiés, un peu comme la sortie d’Egypte, les bergers de Luc ou les Mages de Matthieu pour la Nativité, ou encore le dernier repas de Jésus avec ses disciples dans la chambre haute. L’entrée de Jésus dans la ville est un protocole bien réglé, presque une liturgie où une certaine sorte de roi s’achemine vers son couronnement.

Mais nous savons aussi que ce récit est précédé d’un certain nombre de paraboles dont le contenu bouscule, chamboule, pose problème. Et puis, il y a la suite : les marchands du Temple, la parabole du figuier desséché et la remise en question presque immédiate de l’autorité de ce roi acclamé par les foules mais détesté par ceux qui détiennent un pouvoir, quel qu’il soit. Jésus est ici dans la même position que le jeune David, recruté par le prophète Samuel, bientôt couronné et sommé de monter sur un trône déjà occupé par Saül : la légitimité de l’usurpateur devra affronter rapidement et durement la légalité des autorités en place.

Voilà pourquoi l’entrée de Jésus dans Jérusalem est une petite oasis de popularité et d’acclamation, perdue dans une immense hostilité, une haine omniprésente qui a précédé et suivi un état de grâce provisoire. Cet enchaînement est sans doute voulu par les auteurs de ce texte, il est donc significatif : la paix et la concorde ne sont peut-être qu’un état exceptionnel, une sorte de suspension momentanée de l’hostilité ambiante.

La thèse est connue : la guerre n’est pas l’interruption malheureuse d’une paix naturelle, c’est plutôt la paix qui suspend provisoirement une hostilité quasi permanente qui n’est que l’état normal des sociétés humaines. Un philosophe contemporain, Frédéric Schiffter, écrivait il y a quelques années : « Nous savons bien que la société n’est qu’un vaste orphelinat dans lequel les pensionnaires essaient, en pure perte, de s’adopter entre eux ! » C’est sans doute assez cruel, mais cela reflète bien, hélas, l’histoire humaine, remplie d’exemples tragiques qui démontrent notre incapacité à atteindre une paix un peu plus longue qu’un cessez-le-feu. Sociétés, nations, empires, familles, clans, tribus ou églises, nos regroupements ne sont, au mieux, que des armistices. Gardons cela en mémoire, c’est sans doute l’une des pointes de notre texte du jour : Jésus a beau être acclamé par une foule, il est peut-être déjà aussi seul que sur le Golgotha.

Mais notre texte contient aussi des symboles importants, notamment celui de ce mouvement de la foule, cet accueil triomphal qui a été provoqué par Jésus, puisqu’on nous détaille les préparatifs. C’est lui qui est à l’initiative de ce mouvement. La foule représente les invités à la fête, Jésus et les disciples tiennent le rôle de l’hôte, celui qui interrompt l’hostilité ambiante pour mieux rassembler autour d’une paix possible, d’une convivialité ouverte sur un partage, une manière de régner qui ne ressemble pas aux méthodes des autres.

Luc offre ici une sorte de parodie d’un texte du prophète Zacharie qui annonce la venue d’un sauveur, juché sur une ânesse accompagnée de son petit. Il y a un autre symbole ici, que la foule rassemblée ne comprend pas, ou plutôt qu’elle interprète à son avantage. La modestie du protocole devrait contraster fortement avec les attentes démesurées de cette foule qui attend, à travers le personnage du Messie, un nouveau David qui montera sur le trône en chassant ceux qui l’occupent à ce moment-là. Nous savons bien que le parallèle est juste, mais nous savons aussi que Jésus a refusé de jouer ce rôle-là.

Quand au rôle de l’ânon qui semble inutile ici, puisque c’est sa mère qui tient le rôle de la bête de somme, beaucoup de choses ont été écrites à ce sujet. On a l’impression que Matthieu prend plaisir à le mettre en scène, malgré son incompétence, voire en raison même de son incompétence : il n’a pas les qualités requises pour accueillir le Messie, sa véritable mission et ce que ce Messie s’apprête à faire au milieu de nous. Alors, il se contente de marcher à côté, comme nous qui, des siècles après cette scène, essayons toujours de comprendre ce qu’il est venu faire, nous qui essayons de faire le tri dans nos malentendus. Si jamais on vous traite un jour de « bourrique », répondez que cet animal n’est pas le symbole de l’entêtement ou de la bêtise, mais qu’il est plutôt un modèle de ténacité, un être patient qui cherche à comprendre et qui, pour cela, est prêt à suivre celui sait aussi longtemps que ses jambes le porteront.  En tout cas, la déclaration : « Le Seigneur en a besoin » ne vient pas à la fin, comme une conclusion, elle intervient dès le début, comme un préalable, comme si notre inutilité était un état normal mais appelé à être interrompu par ce moment où nous sommes enfin actifs dans ce que Jésus appelle le Royaume, cette manière de vivre qui ne ressemble pas toujours, pas en tout point, à celle des autres, qui fait même de la résistance en refusant de perpétuer certaines violences qu’il ne s’agit plus seulement de constater, mais aussi de combattre. En tout cas, les plus flagrantes.

C’est probablement parce que les autorités en place ont bien compris la nature du projet de Jésus que leur hostilité, d’abord discrète, va se déchaîner dans les jours suivants, au point de provoquer sa perte. C’est à ce projet de détournement de la marche violente ordinaire du monde que nous sommes appelés, et c’est pour cela que notre propre marche est si difficile sur ce genre de sentier. « Rendre gloire à Dieu », puisque c’est l’expression qui dit notre programme, c’est permettre des oasis de concorde, mêmes provisoires, de voir le jour. Il faut toute la ténacité d’une bourrique pour y arriver, au moins de temps en temps.

A la fin du récit, Jésus « douche » un peu l’enthousiasme des participants à la fête en leur faisant comprendre qu’ils s’y prennent assez mal. Il ne nous est pas demandé autre chose qu’une glorification ; il faut bien comprendre ce terme : il ne s’agit pas d’une simple proclamation, creuse, sans obligation, sans efforts de notre part. Glorifier, c’est rendre concret, palpable, la puissance du règne d’un absent. Cela nous met dans le rôle d’un plénipotentiaire qui ne parle pas en son nom, mais annonce le règne de quelqu’un d’autre… et qui est parfois celui qui prend les coups.

Dans tout ce que nous ferons pour déranger ou bousculer l’hostilité naturelle du monde, un monde que nous ne changerons pas fondamentalement mais qui viendra toujours à nous avec sa violence, ni la beauté du lieu, ni la richesse apparente, ni les fastes du protocoles ne seront efficaces au Royaume promis, ce sera notre patience de bourrique appliquée à suivre le Maître – sans toujours comprendre sa vocation et son utilité – qui fera de nos églises un laboratoire de paix provisoire, une oasis momentanée de concorde difficilement obtenue.

Chesterton écrivait : « Être bon représente une aventure autrement violente et osée que de faire le tour du monde à la voile. » C’est ce que semble comprendre cet ânon patient, appliqué et tenace, qui sait bien que nous n’avons pas d’autre manière de rendre gloire à Dieu que « d’être bon » dans un monde où ce n’est pas toujours un avantage. Et encore moins une sinécure.

 

 

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