Prédication du 12/03/2023
Prédication par Didier Petit
Texte : Exode XVII 1-7
Exode 17, 3-7
Dans cette marche au désert, rien n’est facile depuis la sortie d’Egypte. Les difficultés du peuple d’Israël ne font que commencer puisque le périple s’annonce assez long. On peut d’ailleurs concevoir les 40 ans passés au désert comme un voyage initiatique ou comme une liturgie, avec ses hauts et ses bas, les tentations et les épreuves, l’alternance de foi et de doute.
Pourtant, en voyant les Hébreux assaillis par la soif – une situation prévisible dans un désert – on peut se demander s’il y a vraiment quelque chose à leur reprocher : la liberté nouvellement acquise ne fait pas disparaître la peur de l’avenir, au contraire. Qu’est-ce qui est à l’œuvre ici : un manque de foi, vraiment ? Et le Dieu qui a fait naître en eux le besoin de liberté pour les culpabiliser à la moindre occasion, que faut-il penser de lui ? Encore une fois, n’est-ce pas normal d’avoir soif dans un désert ?
Ce sont les questions qu’on se pose quand on lit ce texte un peu superficiellement. Pourtant, ceux qui ont lu ce texte dans les épreuves l’ont interprété différemment : ils ont saisi le besoin de liberté comme la pointe du texte, et personne n’aurait osé dire qu’ils avaient manqué de foi, encore moins de courage. Ce n’est pas un Dieu retors ni un peuple ingrat qu’il faut garder en tête, mais une épreuve normale au début d’une quête de liberté.
C’est pourquoi on peut retenir de l’épisode des eaux de Massa et Meriba (épreuve et querelle) que Dieu n’est ni un sourd ni un tentateur mesquin. Il a au contraire décidé de s’attacher à ce peuple, au moment de la détresse la plus grande, en pleine captivité. Voilà pourquoi ce texte est resté comme le modèle de l’action de Dieu au milieu des hommes. Dieu a suscité un personnage comme Moïse pour provoquer le désir de liberté chez un peuple qui n’y croyait plus, pour l’accompagner tout au long de sa marche vers un pays où coulait le lait et le miel. Et pourtant, nos versets d’aujourd’hui mettent en scène le début d’une longue période d’errance et de déceptions, d’échecs et de remises en question. Mais l’épreuve n’est pas le fin mot de l’histoire : le plus important est la force de l’espérance qui permet d’atteindre son objectif.
Ce texte n’est pas seulement une histoire exaltante, il a aussi inspiré pendant des siècles tous les individus et toutes les sociétés avides de changement. Chaque situation était différente, bien sûr, mais les enjeux restaient les mêmes. Le désert à affronter à l’époque est devenu aujourd’hui un continent ou un océan à traverser pour aller chercher ailleurs un avenir qu’on n’a pas chez soi. Contexte différents, épreuves comparables, et même aspiration à la liberté, même refus de rester coincé dans une partie du monde où on n’a plus rien à faire, même soif de vivre.
Et comme souvent, la terre d’accueil où la vie meilleure n’est encore qu’un souhait, semble s’éloigner comme un mirage dans l’air tremblant et la chaleur. Les différentes étapes et les lieux de refuge provisoires paraissent parfois plus laids, plus inhospitaliers que le pays qu’on a quitté au départ, c’est un sentiment fréquent. En croyant fuir un esclavage, des dangers, une absence de perspectives, une misère indescriptible ou la violence du pouvoir, un grand nombre de ceux qui partent loin de chez eux traversent des situations qui les font parfois regretter d’être partis : au moins, ils avaient quelques repères dans l’endroit qui les retenaient captifs, ils avaient plus ou moins apprivoisé leur prison. Dans les différents déserts qui les attendent, même ces petits repères ont disparus : il ne reste plus que du « non-maîtrisé », de l’inconnu, de l’inquiétant.
Il est bien naturel et très simple de faire un parallèle entre la situation des réfugiés actuels et la situation des Hébreux qui craignaient l’abandon de Dieu en plein désert. Dans les deux cas, certains pourraient conclure à un abandon ou une négligence de Dieu. Malgré l’abattement et le désespoir représenté par la captivité en Egypte, le miracle avait pourtant eu lieu : fini de subir son sort sans broncher, il faut maintenant convaincre Pharaon que la liberté est un droit. Et puis, il faut partir.
Le droit d’être libre est une idée ancienne, ce n’est pas nous qui l’avons inventée. Nos philosophes ont certainement formulé pour nous comment nous pouvions comprendre ici cette aspiration à la liberté, mais ils ont repris un principe aussi vieux que l’être humain lui-même. Peu importe d’ailleurs que notre récit du jour soit produit par une époque particulière, il faut surtout se souvenir qu’au 5e siècle avant JC, la plus ancienne manière de parler de Dieu était bien d’en faire l’origine de notre aspiration à la vie et à la liberté.
La vie et la liberté sont deux choses extrêmement proches : notre vie commence par l’expulsion d’un ventre maternel qui ne doit pas devenir une prison, même s’il a été nourricier et accueillant. C’est notre premier voyage : sortir et se préparer à vivre.
La vie et la liberté avaient leur origine en Dieu, elles passaient aussi par Moïse qui risquait sa vie dans la confrontation avec Pharaon, communiquait son enthousiasme à tout un peuple, bousculait tous les obstacles pour les conduire à l’épreuve commune à tous les hommes : vouloir la liberté et s’en donner les moyens ! Voilà pourquoi la plus ancienne parole au sujet de Dieu est son affirmation en tant que libérateur.
Et c’est cela qui doit alimenter notre propre foi, plutôt que le constat d’une faiblesse qui nous concerne tous et qui, bien entendu, ne nous sauvera pas. Mais il reste une question importante : pourquoi cette quête de liberté est-elle si difficile, pourquoi est-elle si souvent mise en échec, pourquoi nous retrouvons-nous si souvent dans un désert ?
Si nous retrouvons le peuple hébreu dans le désert, nous voyons leur espérance asséchée, nous les trouvons sans solution de rechange. Est-ce l’objectif de Dieu ou celui de Moïse ? Qui s’est trompé dans cette affaire ? On se demande bien comment un Dieu qui inspire le goût de la liberté pourrait oublier de donner à boire en cours de route, pourquoi il tarde tant à répondre à un besoin si simple et si vital.
L’espérance est quelque chose qui vit en nous et l’auteur de ce texte a compris que si nous venons à en manquer, c’est comme manquer d’eau : ce besoin vital est le seul que nous devons combler rapidement. Nous pouvons nous passer de manger pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines pour les plus endurants, mais le manque d’eau nous tue très rapidement.
Ce que cette histoire nous apprend, c’est que l’objectif libérateur de Dieu a besoin de notre aspiration à la liberté, notre participation à ce besoin vital. Ce ne sont pas de simples miracles qui nous attendent, comme faire jaillir de l’eau en plein désert d’un simple coup de bâton. Le miracle qui nous attend est peut-être plus grand encore : faire jaillir l’espérance d’une vie en liberté là où elle est absente.