Prédication du 08/01/23
Prédication par Didier Petit
Texte : Matthieu VI 24-34
Matthieu 6, 24-34
Comme notre époque est assez inquiète, très angoissée même, on l’imagine s’accommoder assez difficilement de cette invitation assez légère de ne pas se soucier du vêtement, de ce dont nous avons besoin, de ne se soucier de rien, finalement.
La nature donne des exemples de soubresauts qui ne nous laissent pas tranquilles, loin de là. Les aspirations à la liberté poussent, ici ou là, des foules entières à affronter des milices armées qui leur tirent dessus en pleine rue à balles réelles, et tout cela nous inspire de l’espoir, sûrement, mais aussi des craintes. Quand les régimes autoritaires sentent les premières fissures, c’est là qu’ils tapent le plus fort. Les pays riches craignent d’entrer en récession et il y a fort à parier que l’expression « croissance négative » ne réussira pas à donner le change, si j’ose dire. Les pays émergents ou en voie de développement tentent de ne pas être emportés par des effondrements économiques à répétition, ou plus concrètement par la montée des eaux à certains endroits. Etc.
Pouvons-nous, au milieu de tous ces dangers, de tous ces défis, ne pas nous inquiéter du lendemain, alors que c’est précisément notre principale source d’inquiétude ? D’un autre côté, l’absence d’inquiétude ne mène pas nécessairement à la passivité : ne pas s’inquiéter, n’est-ce pas tout simplement faire preuve de courage, faire face ? « Ne vous inquiétez pas du lendemain » résonne alors comme une invitation à libérer ses possibilités d’agir.
Voilà pourquoi l’exemple des petits oiseaux vient confirmer la première intuition qui nous vient en lisant ces lignes. Les oiseaux passent le plus clair de leur temps à travailler, plutôt pour les autres que pour eux-mêmes, ils cherchent de la nourriture pour leurs petits, fortifient leurs nids, ils y passent leur journée et ils recommencent le lendemain. Ils travaillent en quelque sorte au jour le jour, en faisant simplement ce qu’il faut, quand il le faut, et c’est sans doute la meilleure manière de ne pas se laisser envahir par la peur du lendemain.
Le souci n’est pas, par temps de crise, le meilleur moyen d’avancer par espérance, ni le meilleur moyen de résister aux défis d’une époque. Au contraire, si l’Esprit a pu être décrit comme le dynamisme de Dieu en action, c’est parce qu’il est pour nous ce qui provoque le vouloir et le faire, ce qui nous faire sortir de la résignation. Mais il n’est pas possible de sortir de notre inquiétude sans savoir d’où elle vient. Il y a tellement d’occasions d’être déçus par toutes sortes de situations, tellement de raisons d’être en échec que nous ne pouvons pas en dresser la liste, parce que ce serait trop long… et un peu décourageant aussi !
Ce qui est certain, c’est que l’adversité ne nous convient pas : nous ne la voyons pas comme un défi à relever, mais plutôt comme un ennemi que nous ne sommes pas sûrs de vaincre. Quand nous sommes dans cet état d’esprit, nous avons déjà un peu perdu. Nous avons tous tendance au repli, ne serait-ce que pour revenir à quelque chose d’habituel ou de connu. La menace qui nous fait parfois reculer n’est pas forcément quelque chose d’hostile, elle n’a parfois rien d’autre que le visage d’une petite nouveauté, et c’est suffisant pour nous effrayer.
C’est justement dans ces moments de repli que nous avons tendance à réagir en accumulant ce qui risque peut-être, un jour, de nous manquer. Le meilleur moyen de provoquer de longues files d’attente, voire, à certains endroits de véritables émeutes ou des scènes de pillage, c’est d’annoncer la fin de quelque chose ou de crier à la pénurie. La demande chutait un peu, il s’agissait de la retonifier : le langage du manque ou de la peur d’un éternel manque est un excellent moyen de relancer l’expression du besoin (ça, c’est pour l’économie). C’est aussi un excellent moyen de relancer une confiance déclinante en se présentant comme celui qui organise le retour à la normale, les bras chargés de cadeaux (ça, c’est pour la politique).
Ce n’est pas très valorisant pour nous de nous rappeler de temps en temps que nous sommes cette petite bête fragile qui amasse autant qu’elle peut, pour hiberner ou traverser les temps difficiles. Voilà pourquoi les Hébreux se voyaient invités à faire confiance, au moment de la distribution de la manne dans le désert. « Une seule ration pour aujourd’hui. Vous viendrez encore demain pour trouver ce qu’il vous faut, je serai là. »
Quand Jésus affirme : « Ne vous inquiétez donc pas en disant ‘De quoi vivrons-nous, de quoi serons-nous vêtus ?’, il ramène tout à une réalité encore à faire, pas à un acquis ou un capital rassurant. Cette réalité s’appelle le Royaume et cela n’a rien d’évident, rien de naturel. En quoi consiste le Royaume, justement ? Jésus n’insiste pas, ni ici ni d’une façon générale, sur l’avenir ou le « pas encore » de ce Royaume, il fait plutôt du Royaume une réalité présente à entretenir, à faire fructifier, à trouver en nous et à déployer dès lors que nous sommes capables de vouloir du nouveau.
Plutôt qu’une attitude d’écureuil qui fait des réserves pour mieux retourner dans son terrier, c’est l’effort constructif, la complicité, la confiance qui produisent cette manière d’envisager l’inconnu, le non maîtrisé, comme des choses possibles et non comme des ennemis qui nous ont déjà vaincus en nous faisant peur. C’est cette confiance qui exige de nous un effort, un dépassement, qui est à l’opposé de l’inquiétude décrite ici dans nos versets.
Jésus renverse les choses que nous croyons précieuses au point de les amasser pour mieux nous montrer à quel point elles sont périssables. Finalement, le Saint Esprit agit comme une date de péremption, il est ce qui nous rend soucieux, attentifs à la fraîcheur des choses. C’est de cette manière que l’Esprit nous confère un peu du dynamisme qui nous manque face aux circonstances. Nous aurions peut-être préféré que Dieu s’occupe de tout : c’est notre tendance naturelle à confondre la foi avec la paresse, au moins autant que nous la confondons avec la crédulité.
Au contraire ici, ce qui fait rechercher le Royaume et sa justice est cette capacité de comprendre où et comment Dieu est à l’œuvre dans notre vie et dans le monde. Ceux qui choisissent le repli (nous, à certains moments) manqueront – et c’est dommage – beaucoup d’occasions de rendre sa fraîcheur à un monde qui en manque cruellement.
Ceux qui, au contraire, seront saisis par l’Esprit (nous, à d’autres moments), travailleront à rendre au monde sa vigueur, le soutiendront dans ses tourments, l’aideront à se déployer, chercheront le service des uns et des autres. L’espérance n’est possible que pour ceux qui comprennent que le Royaume ne peut pas venir si nous nous contentons d’en attendre passivement l’avènement. Si notre part d’effort manque, nous n’aurons pas le Royaume et sa justice.
De quelle justice est-il question, puisqu’elle n’est pas définie précisément ? Ici, justice de Dieu et sauvegarde de la vie sont synonymes : en dehors d’elles, il n’y a pas grand-chose à espérer. Les sujets d’inquiétude sont nombreux, nous n’en dresserons pas la liste, le temps nous manquerait. Mais, au seuil de cette nouvelle année, nous nous remettons face à notre tâche principale : travailler au jour le jour en faisant simplement, comme les oiseaux, ce qu’il faut quand il le faut sans nous laisser envahir par le souci du lendemain.
Pas d’affolement ni de précipitation, sans doute, mais nous ne perdrons pas non plus le cap : le Royaume sous toutes ses formes, y compris celles que nous envisageons tranquillement en église. A ce moment commencera à poindre la justice de Dieu qui est peut-être la justesse de notre message pour le monde.