Gestations

Les premiers chapitres de l’évangile de Matthieu font le récit de plusieurs gestations : naissance de Jésus, naissance d’un enseignement, naissance d’une école où le maître transmet à ses disciples. Pourtant, Jésus ne les laisse pas partir en mission sans les avoir avertis des difficultés.
En suivant son enseignement dont le programme figure dans le Sermon sur la Montagne, un autre monde est né pourtant, non pas de manière éclatante et définitive, mais au moins de façon embryonnaire, puisqu’un embryon n’est pas autre chose que la promesse d’une éclosion.
Les disciples sont bien conscients de la différence entre le monde tel qu’il est et le monde que Jésus appelle de ses vœux. Ce que Jésus détricote pour eux et pour nous, ce sont les règles qui ont fini par remplacer l’attente d’une délivrance par une gestion froide du divin : « business as usual » !
Dorénavant, l’amour et la délivrance passent avant tout le reste, l’attente de ce qui vient d’un (A)autre passe avant la revendication orgueilleuse d’un héritage. Jésus montre ici que nous ne pouvons nous aimer que si nous cessons de vouloir être semblables, ce qui n’est ni possible ni souhaitable.
En cessant d’être des semblables, nous devenons des prochains capables de voir la singularité, la non-ressemblance voire l’étrangeté profonde, non plus comme une menace pour notre tranquillité, mais comme une possibilité de vie par conciliations successives qui finissent par ressembler un peu à de la paix. Il n’y a pas de paix « naturelle », il n’y a que la paix négociée qui soit possible et durable. Peut-être parce que nous savons très bien ce qu’elle nous a coûté. C’est pour cela qu’elle est difficile à accoucher.
Jésus envoie ses disciples en mission pour que l’humanité qui vient après lui se mette à attendre un Dieu de liberté souvent imprévisible, et prépare au quotidien une paix négociée et toujours à recommencer. Ainsi va le monde, d’une gestation à l’autre.
Didier Petit
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© Photo à la une par Greg Rakozy sur Unsplash