Prédication du 04/12/2022

Prédication par Didier Petit

Textes : Romains XV 4-9, Matthieu III 1-12

 

Matthieu 3, 1-12

Jean-Baptiste n’est pas le premier à crier, dans le désert ou ailleurs. La longue lignée des prophètes en a même fait une tradition qui traverse toute la Bible. On se souvient du refrain qui revient sans arrêt : le peuple à la nuque raide, lent à comprendre et à croire, etc. Beaucoup ont voulu reprendre ce long cri comme une méthode : haranguer les foules, pour un prédicateur, ça doit certainement être gratifiant, surtout quand on estime qu’on doit réveiller quelqu’un de son sommeil spirituel, ou lui reprocher ses lenteurs ou ses mauvaises habitudes !

Mais le dispositif pourrait rapidement lasser : pas sûr qu’un surcroît ou un excès de décibels rendent plus attentif celui ou celle qui n’entend pas. Pas sûr non plus que la harangue, le reproche ou l’injonction morale soient les meilleurs moyens d’inviter au changement de comportement. Les prophètes ont souvent payé de leur vie l’audace d’adresser des critiques fortes à des hommes de pouvoir. Il faut sans doute un certain courage pour le faire, affronter les puissants n’a jamais été facile ni reposant. Mais quand nous examinons le fond du discours prophétique, on ne peut pas s’empêcher de penser qu’ils ont fréquemment dépassé l’étape de la simple audace : ne faut-il pas être un peu fanatique, un peu dingo, pour oublier à ce point qu’on ne peut pas toujours faire boire une bourrique qui n’a pas soif ?

S’il on s’en tient à ce constat, la question se pose : faut-il les prendre en exemple, ces râleurs ? Devons-nous leur emboîter le pas ? L’imprécation et l’annonce de catastrophes ont-elles un quelconque rapport avec l’annonce d’une bonne nouvelle ?

Mais si l’on envisage une position plus modérée, il faut tout de même reconnaître que le discours prophétique – même un peu musclé – a su aussi prendre une autre tonalité, plus proche du « qui aime bien châtie bien », sans aller jusqu’à la maltraitance. Les prophètes ont aussi eu l’efficacité des sentinelles qui réveillent les troupes juste avant une attaque pour éviter à tout ce beau monde de mourir égorgé en plein sommeil. Ce n’est pas rien !

L’Evangile comme attitude de veille – et c’est bien le thème du temps de l’Avent – ne nous fait pas ressembler nécessairement au vieil illuminé qui annonçait la fin du monde en tapant sur des casseroles dans l’album de Tintin « L’étoile mystérieuse ». Le fanatique un peu dingo, donc. L’Evangile est tout ce qu’on voudra, sauf de l’invective, même si ces discours existent et qu’ils servent à remplir effectivement certains lieux de culte. C’est difficile à admettre, mais s’il y a une offre de cette nature, c’est parce qu’il y a une demande ! Nous ne sommes pas obligés d’avoir ce genre de fournisseur.

Mais alors, comment situer exactement Jean-Baptiste, dans les différentes possibilités évoquées ? Simple sentinelle ou dangereux illuminé harangueur des foules ? Jean-Baptiste peut être considéré comme le dernier représentant de l’école classique, où la relation à Dieu implique encore une fonction de père fouettard qui autorise ses représentant à taper du poing sur la table en son absence sur le mode « Retenez-moi ou je fais un malheur ». Ce qui suivra avec l’arrivée d’un Dieu qui s’incarne au point de nous ressembler, c’est une autre école où le Dieu qui descend n’a pas de correction à administrer, il ne crie plus du haut de l’escalier « Si je descends, ça va mal se passer » !

Avec l’arrivée de Jésus qui prendra le relai, c’est plutôt un Dieu pédagogue qui prend la place. Et il serait ridicule de penser que ces deux écoles représentent le Judaïsme (forcément vieux et dépassé) et le Christianisme (forcément jeune et moderne) : ce changement majeur a eu lieu au sein même du peuple juif, sous occupation romaine, dans l’une de ces épreuves extrêmes où tout peut être anéanti. Et nous sommes les héritiers (reconnaissants, il faut l’espérer) de cette transformation. Voilà pourquoi Jean-Baptiste peut encore utiliser ce discours, voilà pourquoi il est devenu ridicule pour nous de l’utiliser encore. Notez, au passage, que Jean-Baptiste a déjà conscience que quelque chose d’essentiel est en train de changer : « Il vient quelqu’un après moi, etc. » Un passage de relai, c’est déjà une transmission confiante, c’est déjà de l’espérance.

Bien ! Nous sommes donc depuis ce temps-là dans l’ère de la grâce, tout va bien par conséquent. Mais les discours catastrophistes n’ont pas disparu, ils ont même repris une certaine vigueur à cause de l’ambiance tendue de notre époque, une ambiance qui pousse à baisser les bras tout en réclamant la tête du ou des responsables. Le fond puant de l’air que nous respirons vient de là, puisque nous préférons lyncher les responsables plutôt que de chercher une solution à nos problèmes, des problèmes colossaux.

Ce qui surprend, surtout au plus fort de la pandémie, c’est que des discours délirants sont parfois venus de la part de « sachants » et non seulement d’illuminés dûment repérés. Une sorte de délire légitime, plus dangereux peut-être – parce qu’il a les apparences de la science – que des discours politiques militants qui confondent souvent exaltation maladive et convictions profondes. Dans le 2nd cas, on sait qu’on a affaire à de l’idéologie et qu’il faut faire la part des choses dans ce qu’on entend ; mais dans le 1er cas, comment faire avec un délire proclamé sur le ton du savoir objectif avec le caractère rassurant de la blouse blanche en supplément ? Comment s’y retrouver ?

Le plus triste, c’est quand les théologiens s’en mêlent, comme si les âneries théologiques avaient un pouvoir de nuisance supérieur… C’est sans doute le cas, malheureusement : si je suis seul à défendre mes propos, je dois préparer mes arguments, c’est beaucoup de travail et le résultat est incertain. Alors que si j’affirme avec aplomb que c’est Dieu en personne qui m’a susurré ces balivernes dans un moment d’extase, je m’épargne la peine de m’expliquer. C’est tout le problème des arguments d’autorité : ils sont aussi débiles qu’imparables, et c’est à cause d’eux que revient en force la colère de Dieu, vous savez celui qui promet une bonne râclée du haut de son escalier. On le croyait enfermé dans son bureau, pour toujours : pas de chance, il revient et ça risque de barder !

L’humanité a eu et aura toujours de nombreuses occasions de troquer un casse-pied céleste avec un martinet à la main contre un Dieu qui s’incarne parce qu’il pense que nous en valons la peine. Et ces occasions, malheureusement, ne seront pas toujours saisies. Le rôle d’une église, et le rôle de chacune, de chacun, c’est d’être tenace au point de réitérer cette bonne nouvelle, malgré le goût de bon nombre de gens pour les mauvaises nouvelles qui leur permet de faire leur petit tour de piste avant de disparaître dans les poubelles de l’histoire.

Mais si le relai passe entre Jean-Baptiste et Jésus a bien été fait, et je crois que c’est le cas, la colère de Dieu disparaît, avec sa relation parents colériques – enfants terrorisés dont personne n’a besoin. C’est l’amour qui devient la clef d’un nouveau comportement, d’un nouveau programme. Après tout, Jean-Baptiste n’a jamais demandé à Dieu de changer (de se changer en quoi d’autre ?), c’est nous qui avons constamment besoin de devenir adultes… en attendant que Dieu apparaisse sous la forme d’un nouveau-né. Le paradoxe n’est qu’apparent, tout se passe comme si Dieu refaisait à nos côté toutes les étapes qui nous mènent à la station debout, puis à une verticale qui nous dépasse de très haut.

Voilà comment nous devons préparer Noël. Dieu se fait humain en renonçant à lui-même, en quelque sorte, pour refaire la route de notre vie à nos côtés, en commençant par le commencement, pour nous emmener plus loin que ce que nous pensons être une fin.

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