Prédication du 13/11/2022

Prédication par Didier Petit

Texte : Luc XXI 5-19

Luc 21, 5-19

S’il on devait dire en quelques mots en quoi consiste l’Evangile, une fois passée la phase de recherche de synonymes, que dirions-nous ? Nous dirions que la vie doit l’emporter sur le désespoir, qu’il ne peut y avoir de vie au sens fort que sous le signe de l’espérance, que la bonne nouvelle est toujours une libération, un avenir qui s’ouvre, etc. Nous trouverions probablement ce type de formule, et nous serions sûrement dans le vrai.

Si nous nous en tenions à cela, ce serait peut-être profitable pour nous. Mais nous n’aimons pas dépendre de quelque chose qui « nous tombe dessus » comme une grâce tombée du ciel ; nous préférons essayer de prouver notre supériorité sur tout et sur tous en atteignant des objectifs, en dépassant je ne sais quelle limite, en nous lançant dans toutes sortes de conquêtes… dont peu aboutissent en vérité.

Dans notre texte d’aujourd’hui, c’est le Temple qui est le véritable enjeu. Et ce lieu éminent où l’on a, par-dessus tout, placé du génie et de l’ambition, le voilà promis à la destruction ! Pourtant, le projet était bon, au départ : « Je serai votre Dieu, j’habiterai au milieu de vous… et tout se passera bien ! » On ne se souvient plus très bien à quel moment ça a dérapé, mais on avait au commencement un invité de marque et on finissait avec un assigné à résidence ou un séquestré. L’affaire a mal tourné… En tout cas, on ne sait pas exactement si les hommes ont enfermé Dieu, ou bien si Dieu s’est réfugié dans le Saint des Saints pour qu’on le laisse enfin tranquille. Le résultat est à peu près le même : les conversations se sont un peu espacées. On s’est même perdu de vue…

Pourtant, Ezéchiel avait compris dans l’une de ses visions que Dieu pouvait très bien s’échapper du sanctuaire, ne serait-ce que pour rejoindre son peuple parti en exil. L’idée avait fait son chemin que le Dieu libérateur pouvait très bien se libérer de nos tentations autoritaires et de notre besoin de collectionner des objets. Les coups de boutoirs du discours prophétique avaient eu raison de nos prétentions possessives depuis un bon moment déjà. Au retour d’Exil, les Judéens rentraient chez eux avec une Bible quasi-complète dans leur sac à dos.

Plus tard, les anciens réflexes sont revenus au galop, le temple a été reconstruit et tout est revenu au point de départ, ou presque. C’est peut-être parce que nous pensons être invulnérables que nous nous conduisons comme ça. Aucun défi ne nous fait peur ! Pourtant, les mêmes échéances attendent chacun d’entre nous, tôt ou tard, et nous continuons à penser que nous avons vaincu les mystères de la mort.

En affrontant les admirateurs et défenseurs du Temple, Jésus leur annonce la fin d’un processus, beaucoup plus que la fin d’un édifice. Face à leur habitude de vouloir tout maîtriser, y compris Dieu, Jésus introduit le doute et l’incertitude pour tenter de fissurer leur arrogance.

Au fait, que sont devenus nos propres édifices, nos monuments, nos audaces architecturales, picturales ou littéraires ? Que reste-t-il au bout de quelques siècles, ou quelques années parfois ? Ce sont des attractions pour touristes, des musées, ou des œuvres que peu de gens regardent ou lisent. Nous non plus n’échappons pas à l’usure du temps, le temps qui rend ridicule ou risible ce que nous avons cru solide et sérieux.

Jésus se lance alors dans une longue liste d’avertissements, de menaces voilées ou d’imprécations. Le contexte tendu de l’époque permettait déjà de voir venir les persécutions, les famines et les guerres imminentes, la destruction possible du Temple également. C’est ce qui allait se passer quelques décennies plus tard. Mais le plus inquiétant, c’est qu’il ne semble pas avoir de porte de sortie dans le cas présent. Où se trouve alors la « bonne nouvelle », l’Evangile dans ce texte ? Où sont l’espérance, la libération et l’avenir dont nous parlions tout à l’heure ?

Quand une inspiration prophétique nous permet de nous adresser à notre époque en lui rappelant que l’avenir ne lui appartient pas, nous passons pour des rabat-joie, pour des imprécateurs ou des ennemis de l’espérance. Presque tous les prophètes ont mal fini, une bonne partie des apôtres aussi.

Dans cette ambiance assez noire, l’espérance paraît absente, surtout que l’intervention de Jésus semble encourager le désastre. Mais malgré tout, les paroles de Jésus nous rappellent que le monde n’est pas destiné à retourner au chaos primordial ; au contraire, il nous est demandé de tout faire pour inverser le cours destructeur de l’histoire.

Cette promesse a toujours été suffisamment forte pour traverser ce que le monde a de plus tragique, pour combattre notre tendance à préférer tout ce qui nous enferme à ce qui nous libère. Elle a été suffisamment forte pour que la vie l’emporte sur la mort, malgré la croix.

Nous sommes, dans ce texte, à l’heure du choix : d’un côté le désir de survie par tous les moyens, d’échec en échec ; de l’autre la vie destinée à prendre le dessus, parce qu’elle seule est vraiment la vie.

Ce message de vie est audible par tous, mais ce n’est pas parce qu’on a entendu qu’on a écouté : tout le monde ne se laisse pas convaincre, et c’est aussi une de nos libertés. Nous qui sommes les disciples volontaires d’un ressuscité, nous ne sommes pas dans la survie, nous avons au contraire le privilège d’une vie déjà transformée de l’intérieur et qui attend son déploiement. Quand nous faisons croître cette vie pleine et entière qui vient de Dieu, nous démontrons la persévérance dont il est question dans les dernières lignes.

L’auteur américain Horace Jackson Brown écrivait : « Face à la roche, le ruisseau l’emporte toujours, non pas par la force mais par la persévérance ». C’est notre proximité avec la vie qui vient de Dieu que nous sommes forts, non pas à travers l’étalage de nos ambitions.

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