Prédication du 06/11/2022

Prédication par Didier Petit

Texte : Luc XX 27-38

Luc 20/27-38

Qui n’aimerait pas avoir une réponse un peu ferme à une question aussi fondamentale que la résurrection ? Nous savons bien que les Saducéens ne comptent pas la résurrection parmi leurs croyances et que le petit scénario qu’ils inventent pour l’occasion n’est qu’un guet-apens un peu goguenard : on les entend presque ricaner d’ici…

Mais, malgré la moquerie bien perceptible, ce sont tout de même les questions importantes que nous trouvons ici : la vie, la mort, la rupture ou la continuité entre les deux, le « ce-vers-quoi » nous nous dirigeons lorsque nous évoquons la résurrection, etc. Ce sont tout de même ces énigmes, ces mystères qui refont surface ici.

Nous aimerions bien avoir les clefs de ces mystères, tant pour ce qui concerne l’accessible de nos vies que pour ce qui se trouve caché. Pour tous ces questionnements, nous avons notre intelligence, les différents dons et talents que nous avons reçus et que nous avons cultivés, et aussi les ressources extérieures qui peuvent nous apporter quelque chose de plus ou de mieux.

A l’époque de Jésus, la résurrection était un sujet controversé, mais pas plus discuté que d’autres sujets. On abordait assez ouvertement cette question et le fait que le ton pouvait monter entre Sadducéens et Pharisiens ne veut pas dire qu’il s’agissait d’un tabou difficile à aborder. Au contraire, c’était un thème sur lequel on adorait se quereller. Si la résurrection était dans les discussions de l’époque, pourquoi faudrait-il l’éviter aujourd’hui ?

Mais s’il faut aborder le problème, il faut aussi se souvenir que, indépendamment des opinions particulières, les deux « camps » ne mettaient peut-être pas la même chose dans le mot résurrection. Etaient-ils si loin les uns des autres, au fait ? Était-ce seulement une question d’arguments théologiques, est-ce que cela ne relevait aussi ou avant tout d’une certaine sensibilité ?

Aujourd’hui, peut-être que la meilleure manière de donner sens à ce mot de résurrection consiste à faire davantage appel à notre intuition qu’à des arguments. Ce qui fait le propre de la foi chrétienne, ce n’est pas tellement que la résurrection est au centre de tout, c’est surtout que tout le monde n’y adhère pas de la même manière ! Nous ne nous soucions que rarement du détail des doctrines, nous nous demandons surtout quelle réalité la résurrection peut avoir pour nous. Pour certains, la résurrection concerne le corps, pour d’autres, il s’agit surtout d’une réalité spirituelle, pour d’autres encore c’est une manière toute simple de se référer à l’événement fondateur du christianisme, d’autre encore y voient l’éternité d’une parole qu’on ne peut faire taire, etc. Vous le voyez, il peut y avoir de telles différences que ces opinions ne peuvent au mieux que se côtoyer sans être partagées par tous.

La résurrection était totalement inconnue dans le premier Testament, elle est surtout une idée apparue dans la littérature hébraïque dans la période hellénistique au 2e siècle avant Jésus-Christ. Dans ce cas, les Sadducéens ne sont pas de vieux ronchons qui refusent d’adhérer à une idée qui nous paraît indiscutable, ils sont purement et simplement les tenants d’une thèse très ancienne, d’une manière de vivre sa foi en Dieu qui trouve sa légitimité dans l’antériorité et l’ancienneté. Ce n’est pas rien de pouvoir dire : « Nous étions là avant et ça ne date pas d’hier ! », ça vous pose une tradition de manière solide. Et ceux qui ne peuvent pas en dire autant parce qu’ils sont plus tardifs sont bien obligés de trouver une autre légitimité à leurs idées plus récentes. C’est là que les traditions religieuses se montrent très inventives. En général, les plus tardifs avancent que les idées qui précédaient les leurs n’étaient qu’une étape préparatoire : c’est une entourloupette un peu facile, mais ça peut vous consoler d’arriver en dernier…

Les Sadducéens pensaient qu’une fois mort, le souvenir d’une personne s’effaçait tout doucement dans le séjour des morts, le Shéol en hébreu, un peu comme si l’image des disparus perdait en consistance jusqu’à devenir transparente. Les Pharisiens, de leur côté (et Jésus était plus proche de cette tradition-là), reprenaient des idées plus récentes arrivées 200 ans avant et donnaient à la mort un autre rôle et une autre portée.

Jésus avait déjà participé à de nombreuses controverses sur l’application de la Loi, sur le respect du Sabbat, etc. il ne pouvait pas éviter ce débat important, vous l’imaginez bien. Les Sadducéens mettent au point leur petite histoire de la femme aux 7 maris pour le mettre en difficulté en ridiculisant des idées qui ne sont pas les leurs. C’est un procédé courant : quand on craint le sérieux éventuel des idées des autres, on les ridiculise pour amuser la galerie. Une fois qu’on a ri méchamment de quelque chose, on n’a plus besoin d’analyse ni d’argument. Et dans l’esprit du public, il ne reste plus que la bonne blague et la franche rigolade qui l’a suivie.

L’histoire des Sadducéens rapportent le cas d’une femme qui épouse successivement 7 frères. Cette obligation existe dans la Loi, elle s’appelle la loi du lévirat. On la retrouve, notamment, dans le cas de Ruth et Booz consignée dans le livre de Ruth, vous pourrez vous y reporter. Cette loi dit l’obligation faite au frère du défunt sans enfant d’épouser sa belle-sœur, on la trouve en Deutéronome 25, 5-10, vous pourrez vous y reporter également. Nous pouvons tourner autour du pot autant que nous le voulons, ça s’appelle un mariage forcé, puisque personne ici n’a son mot à dire. Ni la veuve à qui on ne demande pas son avis, ni les autres frères qui avaient peut-être d’autres projets, après tout.

La question des Sadducéens peut paraître simpliste, on l’est souvent quand on veut ridiculiser quelqu’un. Pourtant, Jésus choisit de répondre, ce qui est certainement mieux que de se mettre en colère contre ses contradicteurs, ou bien de les ridiculiser à son tour, jusqu’à ce que le ton monte. Trouver de bons arguments, c’est ce qui rive le clou des raisonneurs. Le débat auquel nous assistons donne l’état de réflexion où en étaient les communautés chrétiennes quand il a fallu statuer sur cette question devenue centrale.

Ce processus n’a pas été simple ni même rapide puisqu’on voit l’apôtre Paul modifier sa vision des choses entre l’épître aux Thessaloniciens, où ceux qui sont élevés au ciel ont gardé un corps qui échappe à la mort, et la première épître aux Corinthiens où le corps glorieux n’est plus que spirituel. Belle évocation des tâtonnements de l’époque !

Luc se sert des propos de Jésus pour donner à cette question de la résurrection une réponse parmi d’autres en remontant à Moïse et l’épisode du buisson ardent. Pourquoi cet épisode ? Parce qu’il est le lieu d’un pacte de vie entre Dieu et l’humanité : je vous ai libérés et maintenant je vais vivre à vos côtés. La référence à ces événements fixe bien le contexte de nos versets d’aujourd’hui : Dieu est présenté comme celui qui donne sens à la vie. Le projet de résurrection évoqué par Jésus sous la plume de Luc consiste en une confiance indéfectible dans le fait que nous avons partie liée avec Dieu pendant que nous sommes en vie et que c’est cette confiance qui nous lie avec l’éternité. En somme, l’éternité est ce surgissement où nous sentons que nous sommes habités par ce pacte indéfectible, conclu une fois pour toutes.

Si Jésus conclut en disant que Dieu est le Dieu des vivants et non le Dieu des morts, c’est sans doute qu’il faut laisser de côté les spéculations sur la mort qui nous rendent captifs de notre imagination sans pour autant donner sens à notre vie. Se connecter à la force de vie d’un pacte jamais remis en question suffit, en revanche, à nous donner le goût de la résurrection : elle se donne au cœur même de la vie, tant que nous sommes capables d’incorporer – au sens fort – la vie de Dieu. Et là-dessus, tout le monde est d’accord : les Sadducéens, premiers auditeurs, et quelques scribes arrivés entretemps, disent ensemble pour conclure : « Maître, tu as bien parlé ! »

 

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