Nos anciens et nous : une histoire de gratitude
« La sagesse est l’affaire des vieillards, le discernement le fait du grand âge » (Job 12, 1 et 12).
« Jusqu’à votre vieillesse, je serai le même. Jusqu’à votre vieillesse, je vous soutiendrai ; je l’ai fait, et je veux encore vous porter, vous soutenir et vous sauver » (Ésaïe 46, 4).
Nous évoquons parfois nos anciens au cours de nos journées affairées, et nous regardons avec crainte ce qui les atteint. L’amoindrissement progressif et insidieux de leur vie nous effraie d’autant plus que nous essayons de vivre intensément la nôtre. Nous nous projetons vingt, trente ou quarante ans en avant, et nous nous imaginons immanquablement à leur place. C’est souvent la tonalité tragique qui l’emporte. Ces parents, ces voisins, ces amis âgés nous font le même effet que les Stances à Marquise de Pierre Corneille :
Marquise, si mon visage a quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu’à mon âge, vous ne vaudrez guère mieux.
Le temps aux plus belles choses se plaît à faire un affront,
Et saura faner vos roses, comme il a ridé mon front.
Le même cours des planètes règle nos jours et nos nuits.
On m’a vu ce que vous êtes ; vous serez ce que je suis.
Mais n’oublions pas l’ampleur du leg de ceux qui nous précèdent. Comme Job nous y encourage, c’est une sagesse et un discernement accumulés qui ont été placés entre nos mains. De quoi vivre notre vie aussi intensément que possible, avant qu’elle s’amoindrisse à son tour… N’est-ce pas cette reconnaissance que nous recommande un peu plus loin le même Corneille :
Cependant j’ai quelques charmes qui sont assez éclatants
Pour n’avoir pas trop d’alarmes de ces ravages du temps.
L’angoisse de notre propre disparition ne disparaît pas, si l’on peut dire, mais elle passe au second plan, laissant la place à cette gratitude sereine qui nous gagne lorsque, enfin, nous acceptons l’héritage.
Il ne nous reste plus qu’à accompagner nos anciens en prenant Ésaïe à la lettre : porter et soutenir jusqu’au bout.
Didier Petit
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