Prédication du 31/07/2022
Prédication par Didier Petit
Texte : Luc XI 1-13
Luc 11, 1-13
Lorsqu’on pense à tous ceux qui ont montré un exemple de prière dans la Bible, c’est-à-dire un exemple parmi d’autre de relation personnelle à Dieu, on se dit que cette belle diversité laisse beaucoup de liberté à chacun. Pourquoi, alors, formuler une sorte de modèle simpliste de prière à l’usage de tous, valable pour toujours, au point qu’on la récite par cœur depuis des siècles ?
Après tout, il faut être quelqu’un d’exceptionnel pour tutoyer Dieu et espérer lui dire quelque chose d’original… On a attribué au roi David de très nombreux Psaumes, je ne me vois pas me comparer à lui et les mots qui viennent lorsque je tente une prière spontanée me semblent assez plats. L’improvisation et la spontanéité, comme on dit, ça se travaille !
Et puis, sans s’appesantir uniquement sur la forme que devrait prendre une prière, il faut certainement s’inquiéter du fond de ce qui se dit dans ces moments-là. De quoi s’agit-il exactement ? De vider son sac, de raconter sa vie ? Si une prière prend éventuellement cette direction-là, à qui s’adresse-t-elle : à Dieu, à moi-même ? Est-ce une conversation, une manière de se recentrer sur ces préoccupations principales, une manière d’identifier un problème pour mieux essayer de le résoudre ? Toutes ces questions – et il y en a encore beaucoup mais je m’arrête là – montrent bien que nous ne savons pas toujours clairement ce que nous faisons quand nous décidons de prier. Lorsque nous en prenons conscience, la question des disciples nous semble un peu moins étrange, moins naïve. Et il se pourrait que nous ayons envie, nous aussi, de demander : « Seigneur, apprends-nous à prier. »
J’évoquais tout à l’heure les Psaumes de David, j’aurais pu citer aussi les nombreuses conversations face à face entre Dieu et Adam, Abraham, Moïse, les prophètes, etc. Les exemples ne manquent pas, il y a de nombreuses prières ou conversations privées avec Dieu dans le Premier Testament, pourtant réputé mettre en scène un Dieu lointain, perché au ciel, et qu’on est condamné à supplier ou invectiver depuis le plancher des vaches. Et pourtant, même s’il paraît très haut au-dessus de nos têtes, la ligne n’a pas été coupée… En revanche, le Deuxième Testament fait la part belle aux enseignements, beaucoup moins à la prière : les paraboles de Jésus forment la plus grande partie de son discours, le reste de ces interventions sont des actes concrets (des guérisons et des exorcismes notamment), les développements doctrinaux des épîtres sont aussi donnés pour notre réflexion concernant l’église, son organisation, ce que nous sommes tenus de croire, etc. Il y a bien le Notre Père dont nous relisons ce matin une des deux versions (l’autre se trouve dans Matthieu 6), il y a aussi la prière de Jésus dans le jardin de Gethsémané juste avant son arrestation, et j’en oublie quelques-unes… Mais dans l’ensemble, on ne prie pas énormément dans le Deuxième Testament.
Si nous relisons attentivement ce Notre Père, nous voyons qu’il est constitué de demandes. Mais loin de représenter simplement une liste de commissions, cette prière est aussi une confession de foi, une somme d’affirmations sur Dieu et sur nous-mêmes, une manière très dense, très ramassée de rappeler les engagements des deux parties au contrats. Or, rappeler les engagements pris par les signataires, c’est rappeler que la relation entre les deux ne fonctionne, ne « carbure » qu’à la confiance.
La version de Luc est encore plus courte que celle de Matthieu qui n’est déjà pas très bavarde ni très détaillée. Chez Luc, le Notre Père est un prologue qui débouche sur un exemple d’application, alors que Matthieu l’insère au milieu d’autres enseignements. Pour la version de Luc qui tient en quatre versets, le contenu paraît proche par moment de nos soucis quotidiens, mais pas toujours. « Que ton nom soit reconnu comme saint, ou sacré », « Donne-nous ce dont nous avons besoin au jour le jour » (comme la manne dans le désert), la réciprocité du pardon et être préservé de l’épreuve. Et c’est tout !
On a l’impression que cette concision bienvenue est destinée à ne pas trop déranger celui à qui on adresse ces demandes. C’est d’ailleurs la tonalité de l’exemple qui nous est donné aux versets 5 à 13 : celui qui demande ne doit pas craindre d’insister, il recevra ce qu’il a demandé. Pour une raison très simple : non pas parce qu’il est pénible en venant sonner à la porte au milieu de la nuit, mais parce que les deux se connaissent bien, ils sont amis. Celui qui est venu sonner au milieu de la nuit n’est pas allé cherche de l’aide au hasard, il est venu chercher quelqu’un sur qui il peut compter. Quant à l’autre, il ouvre sa porte parce que c’est son ami qui le sollicite, même si ça n’est pas le bon moment. Et ça change tout !
Si nous transposons ces demandes aux prières que nous pouvons faire parfois, qu’elles soient spontanées ou qu’elles aient bénéficié de plusieurs heures de préparation, peu importe, nous nous retrouvons bien dans cette situation embarrassante de celui qui vient sonner au milieu de la nuit pour demander à un ami de le sortir de sa détresse du moment, et qui se dit : « Je vais tellement lui tanner le cuir qu’il ne pourra pas dire non ! »
Luc met bien dans la bouche de Jésus ces mots qui font apparaître nos prières comme des demandes embarrassantes. L’objectif est bien de provoquer chez nous une réaction : laisser derrière nous nos scrupules et notre embarras et dire encore et encore à quel point nous tenons à ces engagements que nous avons pris.
Que dire du contenu de ce Notre Père ? Que ton nom soit sanctifié : que toute notre existence se déroule sous ton regard, que tu sois à la fois la source et l’objectif de notre quête. Donne-nous aujourd’hui notre pain : merci pour tout ce qui nourrit notre existence, pas seulement notre corps et notre âme, mais aussi notre esprit. La réciprocité du pardon : toute société humaine ne peut tenir qu’en installant une paix juste, en combattant les déséquilibres flagrants et en maintenant autant que possible nos armistices et nos cessez-le-feu fragile. Quant à la dernière demande qui concerne l’épreuve ou la tentation : c’est principalement le risque de manquer d’espérance, car lorsque nous en manquons, il n’y a plus d’amis, rien des adversaires, des concurrents, des intrus.
Comment faut-il prier, demandaient les Apôtres ?
La réponse fut donnée par Jésus pour nous autres.
Notre Dieu, notre Père ! Ce n’est pas compliqué.
A lui toutes nos prières, il suffit de parler.
Pas une récitation qu’il nous faudrait apprendre,
Mais bien une relation, à nous de l’entreprendre.
C’est frapper à sa porte comme le fait un ami,
Nos fardeaux, peu importe, il a payé le prix.
Il n’est jamais très loin et sait bien écouter
Tous ceux qui veulent confier chaque jour leurs besoins.
Soyons donc assurés comme le sont les enfants,
Qu’il saura exaucer, à nous d’être patients.
Ses paroles me rassurent, j’ai un puissant soutien,
Ma victoire, j’en suis sûr, se trouve entre tes mains.
Prier, c’est d’abord un formidable pari, celui de croire qu’il y a quelque part une oreille qui écoute ce qui nous habite. La prière est une aventure, un lien avec la force de vie qui me traverse. Prier, c’est se fréquenter. La prière fait partie intégrante de la vie, elle est indispensable.
La vraie prière n’est pas de prendre Dieu en otage, mais de tendre l’oreille ! Il s’agit simplement de laisser la porte ouverte… et notre regard change !