Prédication du 12/06/2022
Prédication par Didier Petit
Textes : Proverbes VIII 22-31, Romains V 1-5, Jean XVI 12-15
Jean 16, 12-15
Ce n’est pas la première fois dans l’Evangile de Jean que Jésus s’interroge sur la vérité. Et il n’est pas le seul non plus, souvenez-vous de Pilate qui se pose lui aussi la question au moment de condamner Jésus à mort… La suite montre qu’il a laissé cette question en suspens en préférant se laver les mains. C’est plus rapide, sans doute, que de chercher une réponse… Pilate n’est que le garant d’un certain ordre public, il est au mieux un pragmatique par obéissance, au pire un idéologue de la Pax Romana.
La différence entre un chercheur de vérité et un idéologue se trouve dans le rapport à ce qui est vrai. Un chercheur de vérité consacre sa vie à trouver une parcelle de vrai, quitte à remettre en question son propre travail en le confrontant à d’autres visions des choses. L’idéologue ne cherche pas le vrai, il veut avoir raison, coûte que coûte, avec d’autant plus de hargne qu’il manque d’arguments.
A qui ressemblons-nous le plus ? A Jésus ou à Pilate ? A mon avis, plutôt au second ! C’est dire à quel point nous avons du pain sur la planche… C’est vrai, la vérité n’est pas une simple affaire d’opinion ; si c’était le cas, tout finirait dans la même mare aux canards : si tout se vaut, rien ne vaut. Nous savons, en effet, que nos aspirations à la vérité existent bel et bien. La vérité nous fait faire toutes sortes de choses, bonnes ou mauvaises, nous pouvons même tuer en son nom. Mais elle est pourtant au cœur des Ecritures, elle est une caractéristique de Dieu lui-même, paraît-il !
Quand Pilate fait semblant de se demander ce qu’est la vérité, il ne se désintéresse pas seulement du sort de celui qu’il envoie à la mort, il se prive surtout de toute possibilité de chercher une parcelle de vrai. Il est plus facile d’envoyer un homme à la mort que de se demander en quoi cet homme a pu incarner une forme de vérité.
Le plus grand malentendu se trouve donc chez Pilate : la vérité n’est qu’une préoccupation à court terme, une satisfaction éphémère enfermée dans l’instant. Elle s’appuie sur notre logique bien humaine : l’intérêt du moment. Mais il y a également une vérité dont nous parle Jésus dans le texte d’aujourd’hui, et qui n’est pas seulement le contraire du mensonge, elle cherche surtout à nous révéler à nous-mêmes, nous voir tels que nous sommes « pour de vrai » et retrouver en nous une image de Dieu assez brouillée et qu’il nous faut restaurer.
Notre foi consiste, depuis longtemps, en une confiance très forte dans notre capacité à retrouver, pas à pas, petit à petit, cette image perdue. Mais cette tâche est surtout un défi individuel, et ce qui préoccupe nos contemporains serait plutôt d’ordre collectif. Les enjeux climatiques, l’urgence de repenser notre manière de travailler, de consommer, les risques économiques et le retour des conflits conventionnels, tout cela nous ramène à la nécessité de repenser en quoi le salut peut et doit être aussi et surtout collectif. C’est dans cette dimension que leur apparaît la vérité actuelle du monde, et ils y pensent d’autant plus qu’une partie de nos problèmes d’aujourd’hui viennent de l’individualisme d’hier et d’avant-hier…
Cet accent sur ce lien individuel nous enferme peut-être un peu. La vérité dont notre époque a besoin n’est peut-être pas, à tout moment en tout cas, celle du Dieu qui sauve dans une relation individuelle ; c’est aussi celle qui répond à certaines aspirations collectives. Dans le deuxième cas, le libérateur qui fait sortir son peuple de l’esclavage semble plus pertinent que l’interlocuteur parfois lointain que nous recherchons chacun de notre côté. Il n’est pas question d’abandonner l’un pour rejoindre l’autre, ou l’inverse, mais de dépasser, quand c’est le bon moment, notre situation personnelle : compte-tenu des besoins qui sont les nôtres, avons-nous foi (ou confiance) en un sauveur personnel (opération qui permet de se tirer d’affaire individuellement) ou bien en un libérateur (opération qui nous rend conscient de ce dont nous souffrons ensemble) ? En bref, de quel type de vérité avons-nous besoin ?
Les réponses ne tardent pas, quand nous posons la question de la vérité. Les prophéties sur un avenir sombre ne manquent pas, vous le savez. Les gens qui sont mis au monde en ce moment ont droit à des annonces effrayantes : surpopulation, changement climatique, difficultés économiques, etc. à quoi il faut ajouter les pandémies et les guerres. Comme on dit dans ces cas-là : welcome ! Mais il vaut mieux être conscient des enjeux que de reprendre l’attitude de Pilate à ce sujet ; mieux vaut, en particulier, revenir à la place que nous occupons dans la Création et y exercer notre responsabilité commune. C’est ce que nos églises ont commencé à faire, en agissant dans le sens de l’accueil, de la solidarité et de la responsabilité, en s’engageant au service des autres plutôt que de se cantonner dans un rôle de lieu de refuge, de simple mise à l’abri.
Pourtant, même si nos actes vont dans le bon sens, l’espérance n’est pas une chose qui s’impose facilement. Cela vient peut-être, non pas de la vérité dont nous témoignons, mais des mots que nous utilisons pour la dire. L’espérance n’est pas la simple réplique des idées venant de l’extérieur, arrosées ou saupoudrées de jargon « maison ». L’espérance nous apparaît comme l’ensemble des attentes que nous avons au sujet de Dieu : c’est peut-être ici que nous nous trompons. L’espérance est plutôt la confiance que Dieu nous fait, elle n’est pas nouvelle, elle s’appelle une alliance.
C’est de ce type de confiance qu’il est question lors d’un baptême comme aujourd’hui : nous devrons rappeler inlassablement à Abel qui est passé par l’eau du baptême que la confiance et l’espérance ne sont pas les résultats d’un combat acharné qu’il devra livrer, mais plutôt le préalable qui l’accueille dans ce monde : l’amour de ses parents et de sa famille ne sont pas les récompenses qu’il goûtera de temps en temps, s’il est sage, c’est une confiance et une espérance données une fois pour toutes et dont il bénéficiera toute sa vie. Recevoir cette confiance de quelqu’un qui vous précède, c’est cela « accéder à la vérité tout entière » dont parle Jésus. Et ce n’est pas seulement une promesse individuelle, même si on est momentanément seul dans l’eau du baptême. Cette promesse concerne aussi la vie d’Abel et la place qu’il occupera au milieu des autres, la part du monde qui lui revient.
Tu gazouilles du matin au soir, tu souris, tu rigoles.
Jour après jour, tu grandis, tu évolues, te transformes.
Tu n’étais qu’un tout petit bébé, et au fil du temps, tu deviens
un beau petit garçon.
Tu ressembles à tes parents, ensemble ils feront de toi un homme.
Accéder à la vérité tout entière, c’est aujourd’hui une réalité pour Abel. C’était le cas avant même de passer par l’eau du baptême : le rôle des parents, et de tous les adultes qui l’entourent, est de lui témoigner une confiance indéfectible. Le rôle d’une église, par le baptême, est de rappeler à tous que toute vie humaine est placée sous le signe d’une attente confiante et que nous ne sommes pas seulement concernés individuellement : c’est l’ambition de Dieu pour le monde qui nous rapproche les uns des autres, ce sont nos ambitions qui souvent nous éloignent les uns des autres. L’eau du baptême n’est pas là pour nous permettre de nous laver les mains, comme Pilate, elle nous relie à nous-même et aux autres. Comme Abel, qui est maintenant l’un d’entre nous, parce que nous l’avons tous attendu.