Prédication du 20/03/2022

Prédication par Didier Petit

Texte : Luc XIII 1-9

Luc 13, 1-9

Notre texte s’ouvre sur un massacre de pèlerins par l’autorité romaine. Comme dans le cas du massacre des Innocents, réalité historique ou non, nous nous demandons toujours à quoi servent ces récits sinistres… D’autant que le contexte religieux étonne : on met la main sur eux au moment où ils font leurs sacrifices, un peu comme si Dieu lui-même avait mis le holà, comme si c’était mérité…

Que Pilate ait donné l’ordre ne nous étonne pas vraiment, le personnage fera plus tard une courte apparition qui montre son goût pour les solutions radicales et définitives. Avait-il affaire à des Zélotes partisans de la lutte armée, responsable d’un coup d’éclat au beau milieu du temple ? On n’en apprend pas davantage, et surtout, personne ne s’étonne de ce dénouement, pas même Jésus qui découvre seulement que personne n’est à l’abri. Seul message : préparez-vous suffisamment pour ne pas être surpris !

Mais les mauvaises nouvelles continuent : 18 personnes tuées par l’effondrement d’une tour. On imagine les titres des journaux : « 18 morts dans l’écroulement d’une tour à Siloé : le bilan s’alourdit ! » Même conclusion, ou presque : convertissez-vous ! Pour le reste pas de commentaire. Le grand absent, pourrait-on dire, c’est Dieu. Il ne ricane pas de ce qui arrive, heureusement ; il ne regarde pas non plus, impavide, des tragédies sans broncher. Il n’est tout simplement pas question de lui.

Cette absence d’engagement de Dieu – et donc de réponse ou d’explication aux tragédies subies par l’humanité – nous laisse une impression pénible. A quel jeu Dieu peut-il bien jouer, essaierait-il de se servir des circonstances pour nous punir de ne pas être à la hauteur, alors que nous savons que nous n’y sommes jamais. Là encore, Jésus accepte les circonstances sans chercher à les interpréter.

C’est l’absence de commentaires qui provoque parfois en nous ce questionnement embarrassant : « Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu ? » Comme si cette explication avait un fond de vérité : il faut bien que quelqu’un ait voulu cela. Mais les catastrophes qui adviennent ne sont ni plus ni moins supportables quand on possède une explication… Et pas forcément la bonne, d’ailleurs !

Et puis, sans qu’on ait vraiment résolu le problème, nous arrivons dans cette parabole du figuier stérile, au milieu d’un conflit entre un propriétaire et son jardinier. La controverse porte sur le sort à réserver à un pauvre figuier qui ne produit plus rien. On pourrait laisser ce figuier tranquille et le laisser être simplement là pour des raisons esthétiques, mais ses heures sont comptées pour des questions de rentabilité. Là encore, nous sommes un peu surpris par cette logique ! Peut-être que le propriétaire a décidé de le couper pour qu’il n’épuise pas en pure perte la terre dans laquelle il est planté. Dans ce cas, il ne s’agirait plus de rentabilité, mais d’une mesure de sauvegarde.

Pourtant, le jardinier s’entête, demande un délai, persiste à croire qu’une amélioration est possible avec du temps et des efforts. Il y croit, lui, au point que toute l’espérance dont il est capable semble tenir dans ce « peut-être ». Il est le seul à ébranler les certitudes de quelqu’un qui pourtant pourrait décider sans le consulter.

Dieu est-il vraiment absent de ce texte ? Nous aimons d’ordinaire nous le figurer sous les traits du Maître, celui qui ordonne, le Maître de la vigne dans une autre parabole, le patron absent qui laisse ses employés faire fructifier la richesse en son absence, etc. Mais ici, il est sans doute derrière ce jardinier encore capable d’un « peut-être », il est dans la patience, dans un dénouement possible alors que tout montre le contraire. Il croit à notre fécondité alors que la hache destinée à nous abattre est déjà prête ! C’est fou, non ?

Chacun pourrait rétorquer que le Maître est toujours là. C’est lui le patron, et si ce figuier ne se décide pas à porter du fruit, il sera coupé. Mais d’où viennent les pauses plus ou moins longues de l’espérance, sinon de nous ? D’où vient cette incapacité chronique à attendre patiemment ce qui demande du temps, sinon de nous ?

Il faut donc inverser la distribution des rôles dans ce texte, et accepter de changer l’image de Dieu que nous entretenons, sans qu’elle nous rende de grands services d’ailleurs ! La parabole du figuier stérile montre que Jésus est conscient de la nécessité de changer cette image désastreuse. Qui mérite notre confiance ? Celui qui se décourage pour des questions de rentabilité ? Ou bien celui dont la patience se cache dans un « peut-être » qui change tout ?

Pour répondre à cette question, il faut du temps. Ça tombe bien. Nous sortons de cette parabole en sachant qu’il faut bêcher la terre, prendre soin, mettre tout notre savoir faire au service de l’espérance. Et attendre que notre monde se révèle enfin : sortir de sa stérilité et produire du fruit.

L’espérance, c’est considérer qu’une stérilité est toujours provisoire. Un bon jardinier sait cela. En quittant l’Eden, on nous a demandé d’aller bêcher un peu plus loin : il y a tellement de lopins de terre à faire fructifier…

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