Prédication du 19/09/2021

Prédication par Didier Petit

Textes : Genèse I et II 1-4

Genèse 1,1 à 2,4

Le texte de la Genèse est vraiment un beau texte. Nous savons depuis longtemps qu’il n’est pas le compte-rendu journalistique des débuts du l’univers, et pourtant il n’en finit pas de nous inspirer : il en a fallu de l’audace pour produire ce panorama de notre cadre de vie, ce vaste lieu où nous posons nos pieds.

Au milieu des connaissances accumulées sur l’âge vertigineux de l’univers et de tout ce qu’il contient, apparaissent des gestes simples et primordiaux qui nous font faire littéralement le tour du propriétaire. A chaque ligne, on entend presque quelqu’un murmurer : « Regarde bien où tu te trouves ! C’est moi qui te projette à cet endroit-là, mais il te faudra encore trouver la raison de ta présence. »

Même si ces lignes ouvrent l’ensemble du recueil, il faut se souvenir qu’elles ont été composées assez tardivement ; comme pour beaucoup d’autres textes bibliques, il y a un long travail de remaniement et pour nous, c’est une invitation à retourner à une origine. Non pas un temps originel, mais à l’intuition originelle que nous faisons partie de ce cadre, que nous sommes reliés à lui, indéfectiblement.

Ceux qui ont écrits ces lignes ont voulu dire leur confiance au cœur même de l’Exil et de la déportation, en faisant de l’univers entier le cadre de leur histoire. Voici pourquoi le premier chapitre de la Genèse nous place au sein d’une création qu’il faut gouverner avec justice, justesse et discernement.

Nous donnons l’impression de ressortir de ce récit avec un titre de roi de la création. Rien pourtant ne nous suggère que nous aurions le droit ou même la mission de maltraiter ou piller ce que nous avons reçu. La royauté consisterait plutôt à protéger ses sujets et ses terres pour assurer un avenir, une transmission digne de ce nom. Mais pour transmettre, il faut aussi garder une capacité d’émerveillement et d’humilité.

C’est aussi grâce à ce texte que nous n’adorons plus ce qui nous entoure, le soleil, la lune. Ou plus exactement, c’est parce que ses auteurs ont cessé d’adorer tout et n’importe quoi, qu’ils ont produit un texte comme celui-ci. Chaque chose est remise à sa place, ni magnifiée ni méprisée.

Il faut donc prendre ce que nous venons de lire comme une sorte de poème. D’ailleurs, « poème » vient d’un verbe grec qui signifie « faire ». Mais il faut aussi penser à ce que ce passage a d’inspirant : l’inspiration, c’est surtout accueillir quelque chose de l’extérieur, être traversé par ce quelque chose et l’exprimer sous une forme nouvelle. C’est, du reste, ce qu’on fait les auteurs bibliques qui ont repris à leur compte ce qui leur venait de l’Egypte, de Babylone ou des prophètes du monde connu de l’époque.

Face aux milliards d’années évoquées par les scientifiques, il nous reste – plus accessible – le langage biblique avec ses récits poétiques. Toute une semaine créatrice qui permet de lire le monde comme un symbole qui nous renvoie à nous-mêmes plutôt qu’un chaos qui nous laisse perdus et désemparés.

Voici ce qui se passe dans Genèse 1 : il y a une sorte de processus de clarification, plutôt qu’une création à partir de rien. Quelque chose est déjà là, une matière informe et vide, faite d’obscurité et d’eau. Non pas un rien du tout, mais un quelque chose en devenir, plein de potentialités et de promesses.

Dès le départ, ce monde alentour échappe au statut peu enviable de « machin » inutile et raté. Au contraire, c’est sa valeur et l’avenir qu’on lui souhaite qui apparaissent ! C’est l’harmonie consécutive à un travail infatigable qui revient avec insistance. On dirait d’ailleurs que l’état du monde extérieur n’est que le reflet de ce qui se passe à l’intérieur de chacun de nous !

Chez nous aussi, il y a une mer ou un abîme, une part d’ombre qui peut toujours nous ramener au grand n’importe quoi, nous éloigner de l’harmonie délicate et provisoire qui nous a pourtant coûté si cher…

Ce qu’affirme la Genèse, c’est que Dieu est le nom de ce qui rend la vie possible en nous, en ordonnant le chaos, en traçant quelques lignes pour agencer l’espace, en limitant les ténèbres et la mer.

Au fur et à mesure, d’un jour à l’autre de cette semaine extraordinaire, le vide informe se construit petit à petit et devient un endroit pour vivre. Les astres remplissent le ciel, puis c’est le tour de la mer et de la terre de grouiller d’êtres vivants : des animaux les plus sympathiques aux plus répugnants, chacun est à sa place, parce que chacun a reçu l’approbation, le « oui » de Dieu.

Et puis il y a nous, en tout dernier. Ce classement bizarre peut s’interpréter de diverses manières : soit nous sommes la cinquième roue du carrosse, soit nous sommes l’apothéose de la création. Il va sans dire que nous avons généralement préféré la deuxième option, plus valorisante sans doute.

Ce qui est certain, c’est que nous sommes les seuls à incarner l’image de Dieu, c’est-à-dire ce qui nous donne une dignité très particulière. C’est à partir de ce texte que nous trouvons notre égalité parfaite de sœurs et de frères, en route côte à côte sur le long chemin de l’humanisation.

Ni privilège ni malédiction, le fait de porter l’image de Dieu ne nous dispense d’aucune responsabilité : vis-à-vis de nos frères et sœurs en humanité mais aussi vis-à-vis de notre maison commune. Pourquoi alors avons-nous cru que cet endroit pour vivre n’était que garde-manger, une réserve de matières premières supposées inépuisables ? Comment se fait-il que nous ayons perdu en grande partie cette communion avec le vivant, cette fraternité qui nous unis aux autres aussi bien qu’avec le reste de la création ?

Face à ce monde qui nous porte, nous avons confondu deux choses fort différentes : ce qui compte et ce qui a de la valeur. Tout n’a pas forcément de valeur marchande, ça dépend exclusivement de nos besoins spécifiques. En revanche, tout compte, c’est-à-dire : tout est interdépendant. Il faut que les catastrophes se rapprochent pour que nous comprenions qu’il faut rétablir un peu d’équilibre !

On trouve bien la mention de la domination de l’homme sur le reste de la création, c’est indéniable. Mais comme nous nous sommes acharnés à confondre domination et exploitation, nous avons tout misé sur la valeur en délaissant ce qui compte. Nous avons démantelé, arraché, prélevé, mais nous avons rompu beaucoup d’équilibres. Or, c’est d’équilibre et de limites qu’il était question au commencement.

Si nous sommes effectivement porteurs de l’image de Dieu, c’est parce qu’il nous est tout de même possible d’habiter poétiquement le monde, non pas comme de doux rêveurs, mais comme des créateurs de vie, attentifs à la communion du vivant, la fraternité de la création voulue dès le commencement.

« La nature est tout ce qu’on voit, tout ce qu’on veut, tout ce qu’on aime.

Tout ce qu’on sait, tout ce qu’on croit, tout ce que l’on sent en soi-même.

Elle est belle pour qui la voit, elle est bonne à celui qui l’aime,

Elle est juste quand on y croit et qu’on la respecte en soi-même.

Regarde le ciel, il te voit, embrasse la terre, elle t’aime.

La vérité c’est ce qu’on croit, en la nature c’est toi-même. » (George Sand)

Didier Petit

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