Prédication du 18/04/2021
Prédication par Didier Petit
Texte : Luc XXIV 13-49
Luc 24, 36-49
Le récit d’aujourd’hui suit immédiatement celui des disciples d’Emmaüs. Dans l’épisode précédent, si vous vous souvenez bien, on trouve une apparition très particulière où le Christ rejoint des disciples découragés qui cherchent avant tout à tourner le dos à une tragédie.
Le Ressuscité, à ce moment-là, est celui qui a disparu mais qui revient sous une apparence différente, à tel point qu’il n’est reconnu que tardivement au moment de la fraction du pain, avant de disparaître à nouveau. Pour les pèlerins d’Emmaüs, tout commence par l’anonymat d’un voyageur qui partage les Ecritures ; kilomètre après kilomètre, c’est tout le fil rouge de l’annonce d’un Messie qui est reparcouru, ravivé. Mais jamais cette apparition n’a de réelle consistance, elle est une simple compagnie, une réminiscence qui s’évanouit aussitôt. Seul le moment de la reconnaissance donne toute sa valeur et toute sa portée à la présence du Christ.
On peut se demander ce qui a poussé Luc à faire le récit des pèlerins d’Emmaüs en donnant autant le sentiment que les disciples de tous les temps (et par conséquent nous-mêmes aujourd’hui) devraient dorénavant se contenter de courtes apparitions. On devine le procédé utilisé par Luc. Les versets qui précèdent ceux que nous avons lus sont une sorte de pédagogie de la foi au Christ ressuscité : l’enjeu est de conduire les disciples à dépasser la catastrophe de la croix par le recours aux Ecritures, de les amener à bien saisir cette étrange loi du salut par l’épreuve, endurée d’abord, puis dépassée.
L’enseignement donné aux membres de l’Eglise est qu’ils peuvent constamment rencontrer le Maître ressuscité dans les Ecritures et la fraction du pain. Il s’agissait de tourner le dos à une tragédie, nous y voilà : Luc propose de contourner la mort et l’absence par un retour perpétuel à l’Ecriture, c’est-à-dire à des paroles qui restent, mais aussi dans la fraction du pain qui renvoie aux nombreux repas pris par Jésus avec ses disciples, avant et après sa mort. Rien n’étouffe les paroles de l’Ecriture, rien n’empêche les retrouvailles joyeuses du repas qui nous aide à serrer les rangs.
Mais le procédé utilisé par Luc ne s’arrête pas là. Et c’est sans doute pour cela qu’il faut considérer notre passage du jour comme la suite et la fin, indissociable du récit des pèlerins d’Emmaüs dont je viens de rappeler les grandes lignes.
Ici, les choses semblent s’inverser. Le Christ marcheur solitaire est revenu dans la communauté. Son incognito et sa brève apparition sont maintenant remplacés par une présence concrète, palpable : on le voit, on le touche, on l’entend, on mange avec lui ! Le Christ discret partait des Ecritures pour aboutir à la fraction du pain ; le ressuscité de nos versets commence par les nourritures terrestres avant de renvoyer aux Ecritures…
Bref, « L’après-Pâques » des pèlerins d’Emmaüs mettait l’accent sur la promesse d’une vie autre, encore difficile à discerner ; ici, Luc prend les choses par l’autre côté, comme pour compenser un déséquilibre : la vie en Christ sera incarnée, les membres de l’Eglise auront les pieds bien sur terre, ils ne passeront pas leur vie à entretenir avec nostalgie le souvenir d’un personnage fantomatique.
Quel contraste, dans nos versets du jour, avec ce qui précède ! Et il s’agit non seulement d’un contraste, mais aussi d’une leçon d’une importance première : si Luc avait voulu nous faire comprendre qu’une même vérité doit pouvoir se considérer au moins sous deux angles différents, il ne s’y serait pas pris autrement !
Et c’est sans doute une bonne chose pour nous de réapprendre que le Royaume annoncé concerne avant tout les choses concrètes. Les premiers personnages de notre récit sont ceux qui doutent et qui ont besoin d’une résurrection palpable. C’est par eux que Luc commence. Il n’est pas en train de satisfaire le matérialisme supposé de certains, il s’adresse seulement à des Grecs dont la pensée assez dualiste a beaucoup de mal à admettre la résurrection des corps. Il choisit simplement cette manière de faire parce qu’elle est la plus efficace pour parler de la présence de quelqu’un qui n’est plus là ! Au fait, si nous devions expliquer ce paradoxe à ceux que nous rencontrons au quotidien, quel procédé choisirions-nous ? Serions-nous capables d’annoncer ce mystère de la résurrection sans paradoxes, avec une belle explication bien propre, linéaire et sans contradiction ? Bien sûr que non, nous aussi nous devons manier les paradoxes.
Une fois rassurés par le fait que le ressuscité les rejoint bel et bien dans leur quotidien, les disciples comprennent enfin le sens de ce qui leur arrive : c’est leur manière d’être accessible au message de la résurrection. Et ce n’est pas annoncé comme une nouveauté qui tombe du ciel, verticalement devant leurs pieds : c’était annoncé depuis longtemps par les Ecritures, ces paroles qui se transmettent d’une génération à l’autre. Pour rendre concrète, palpable, la présence de quelqu’un qui n’est plus là, on n’a rien trouvé de mieux que les Ecritures : les paroles qui ne disparaissent pas sont le meilleur moyen de faire apparaître et réapparaître un disparu, tout simplement ! Dans ce domaine aussi, rien ne se perd, rien ne se crée mais tout se transforme !
Puisque plus personne ne craint d’avoir affaire à un fantôme, la confiance revient. A cette Eglise qui assume ce qu’elle est, il ne reste plus qu’à prolonger indéfiniment le long fil rouge qui la précédait, qui passe par elle et qui lui survivra : la prédication de la conversion en vue du pardon. Luc nous invite à nous transformer en Ecriture, à devenir nous-mêmes les véhicules d’un message ou les écrins d’un trésor à transmettre.
Il fallait tourner le dos à une tragédie : c’est chose faite ! Il restait encore à passer d’une économie vouée à la constitution de trésors à une économie du don, comme la transmission d’un message. Pascal écrivait : « La plus grande des preuves de Jésus-Christ sont les prophéties. C’est aussi à quoi Dieu a le plus pourvu ; car l’événement qui les a remplies est un miracle subsistant depuis la naissance de l’église jusqu’à la fin. »
C’est tout le génie des Evangiles, et en particulier celui de Luc, de fonder une Eglise qui n’a pas d’autre fonction que de faire passer le message d’une possible conversion en vue du pardon. C’est notre raison d’être de faire comprendre à d’autres la bonne nouvelle de la patience de Dieu.
Didier Petit