Prédication du 21/03/2021

Prédication par Didier Petit

Texte : Marc XII 38-44

Marc 12 :38-44

On se sent bien petit et plein d’admiration devant un tel texte. On admire la foi de cette femme, mais au fond personne n’a envie de lui ressembler. C’est souvent comme ça dans l’Evangile : les personnages qu’on nous donne à admirer sont bien souvent des laissés pour compte, comme cette femme. On dirait que malgré les difficultés bien réelles de nos vies, Jésus cherche à nous reprocher d’être oublieux de « la petitesse qui sauve », comme si nous étions tous coupables de démesure. On sent venir une petite pointe de culpabilité dont on se serait bien passé !

Pendant des générations, les chrétiens ont retenu que, pour faire son salut, il fallait être pauvre comme saint François d’Assise et se réjouir de sa pauvreté et de sa médiocrité : la morale commune cherchait plutôt à promouvoir le renoncement. C’est ainsi qu’on a compris les choses pendant de nombreux siècles jusqu’à ce que la Réforme remette en question le bien-fondé de cette situation et rappelle que le salut ne s’acquiert pas, ni en exhibant sa richesse ni en se faisant volontairement pauvre. Si Jésus montre cette femme en exemple, ce n’est pas pour montrer que le dénuement apporte une quelconque forme de salut ou de perfection, mais pour dire que le don est une chose des plus sérieuses. Le superflu, on s’en débarrasse sans se retourner ; l’essentiel, on le partage en sachant exactement ce qu’il nous coûte, c’est-à-dire en sachant exactement ce qu’il vaut. Selon qu’on se place dans l’un ou l’autre cas, le geste du don n’a ni le même sens ni la même valeur !

Pourtant ici en lisant ce texte nous ne pouvons qu’éprouver un certain malaise. Cette petite scène anodine nous amène à nous questionner sur la personne de Jésus lui-même et sur sa manière d’être présent au monde. Il y a en effet, ici un certain nombre d’incohérences dont il va bien falloir rendre compte pour essayer de comprendre la portée de ces quelques lignes.

Pour peu que notre esprit critique soit en éveil, nous serons sans doute surpris, sinon choqués, en constatant que Jésus félicite une femme pour avoir fait un geste qui ne va servir à rien. Il fait devant ses intimes l’éloge de cette pauvre femme qui se sacrifie en donnant tout ce qui lui est nécessaire à la vie pour l’entretien du temple de Jérusalem dont il annonce la destruction juste après.

Et ce n’est pas tout. Jésus semble être blasé par le spectacle de la collecte de l’argent. « Jésus regardait comment les foules mettaient de l’argent, plusieurs riches mettaient beaucoup… » Pas de critique, pas de louange pas non plus, il regarde simplement. Aucun jugement de valeur sur ceux qui donnent beaucoup. Il attire pourtant l’attention de ses amis sur la pauvre veuve.  Le texte insiste sur l’insignifiance de la somme qu’elle met dans le tronc : « 2 pièces faisant un quart de sou ». Autant dire rien du tout, mais cette somme très faible a une grande valeur pour elle.

Jésus ne fait aucun commentaire pour dire si Dieu y trouve son compte et s’il se réjouit d’un geste qui ne sert à rien. Cependant un tel geste représente pour elle tout son potentiel de vie et Jésus ne commente pas ce geste dans le sens où nous l’espérons. En donnant cet exemple, Marc suggère que notre rapport aux choses de l’esprit soit de l’ordre du vital, aussi important que la vie que nous menons ou que l’air que nous respirons. Qui se sent capable de cela ?

Le geste de cette veuve est cité en exemple sans qu’aucun autre commentaire ne soit fait, ni sur l’argent, ni sur les riches. Elle ne sait même pas qu’elle a retenu l’attention de Jésus pendant quelques secondes. L’Evangile insiste seulement sur la valeur du sacrifice volontaire qui établit une relation de vie entre Dieu et cette femme. C’est tout.

L’étrange prophétie de Jésus annonçant la disparition du temple semble rendre cet acte complétement inutile. Le temple pour lequel elle donne son essentiel sera démoli !  Il ne restera plus pierre sur pierre. Comment concilier l’approbation du don de la veuve et l’annonce sans émotion de la destruction du temple ?

Le geste de la veuve va dans le sens de la vie telle que Dieu la souhaite et telle que Jésus l’annonce, même si l’histoire montrera que le Temple ne jouera plus aucun rôle par la suite. Pour l’instant et pour la relation de cette femme avec son Dieu, il joue un rôle considérable.  En contribuant de tout son être à l’entretien du sanctuaire terrestre, elle participe à la volonté créatrice de Dieu. C’est dans ce sens que Jésus valorise son action.

Ce geste n’empêche pas pour autant Jésus de considérer avec lucidité la situation politique de son époque. Jésus sait, comme tout un chacun que si les tensions entre juifs et romains persistent, une guerre finira par éclater et le sanctuaire sera détruit. La prophétie de Jésus relève de la lucidité politique plutôt que de la théologie. La théologie sur la destruction du temple sera élaborée après coup par ses disciples et ses apôtres qui chercheront à rendre compte théologiquement de ces événements, comme l’ont souvent fait les auteurs bibliques.

La destruction du temple est de l’ordre du possible et même du probable, elle est liée à la violence des hommes, une violence prévisible. La disparition de ce Temple n’était pas une promesse morbide faite de toute éternité par un Dieu vengeur, elle n’était que le fruit malheureux d’une histoire humaine aussi violente qu’implacable. Jésus ne s’est jamais très clairement exprimé sur la destruction du temple, ce sont ses ennemis qui au moment du procès ont joué sur les mots. « Il a parlé de la destruction du temple » disaient-ils et l’Evangéliste Jean d’ajouter « qu’il parlait du temple de son corps ». Les disciples n’ont retenu que des paroles ambiguës à propos du temple que Jésus a purifié avant sa mort et auquel il s’est identifié. Ni l’Evangile de Matthieu ni l’Evangile de Jean n’ont retenu la prophétie que seule Marc et Luc rapportent.

C’est pourquoi, en prophétisant la destruction du temple, Jésus n’a pas fait état d’une décision préétablie par Dieu qui conduirait l’histoire indépendamment des hommes, il a seulement évoqué les conséquences inévitables que le péché des hommes pouvait avoir sur la religion et sur la société de son temps. L’histoire peut ainsi rendre vains ou caducs des gestes qui sont pourtant porteurs d’avenir au moment où ils sont faits. Nous avons, hélas, ce redoutable pouvoir !

La vraie opposition ne se situe pas entre la pauvre veuve et les riches, entre ceux qui laissent tomber dans le tronc une petite pièce et ceux qui en jettent de pleines poignées. La véritable alternative se trouve entre la chute inévitable de ce qui semble lourd et durable (les religions, les civilisations, les institutions, les murs de pierres très épais) et ce qui paraît léger et éphémère (les petits gestes simples qu’on ignore ou qu’on méprise parce que l’essentiel est souvent ténu ou filiforme).

Les murs tiennent longtemps, jusqu’à ce que des brèches apparaissent ; ce sont précisément ces brèches, ces failles qui laissent s’échapper les petits gestes simples et essentiels. Au bout du compte, ce sont eux qui se transmettent longtemps, ce sont eux qui font tradition parce qu’ils sont souples et légers. Seuls ceux qui voyagent « léger » ont une chance d’aller loin. Ceux qui peuvent survivre avec un petit sac à dos de 10 kg savent ces choses-là : on ne prend que ce qui est essentiel…

Les choses solides qui nous abritent ont pris du temps, mais elles ne dureront qu’un temps. Nos gestes de générosité, si légers, si fragiles, voyageront bien plus loin !

Didier Petit

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.