Prédication du 07/03/2021

Prédication par Didier Petit

Texte : Troisième épître de Jean

3 Jean versets 9 à 15

 Les trois lettres attribuées à Jean sont le témoignage d’un souci pastoral pour des communautés chrétiennes d’Asie Mineure traversées par une crise causée par la pénétration de doctrines étrangères à la foi des premiers chrétiens. De nombreuses indications montrent qu’une spiritualité plutôt gnostique est à l’œuvre, imposant la croyance en un accès direct à Dieu, la possibilité d’une connaissance parfaite de Dieu et l’inutilité totale de tout Messie, quel qu’il soit. Le péché est également nié et la pratique des commandements superflue. Enfin, cette doctrine particulière dissocie en quelque sorte la personne du Christ, une partie terrestre et une autre céleste, les deux s’unissant au moment du baptême par Jean-Baptiste, et se séparant de nouveau au moment de la Passion.

Face à ce qui apparaît comme un danger terrible, les lettres de Jean ne sont pas des écrits visant à combattre une doctrine avec des arguments, elles sont plutôt un avertissement adressé aux chrétiens qui doivent se souvenir qu’ils possèdent la vraie communion avec Dieu. Voilà pourquoi la pratique des commandements est si importante, en particulier l’amour fraternel reconnu comme commandement suprême.

Cette lettre a un ton très personnel, elle est adressée à un certain Gaïus, celui « qui marche dans la vérité ». Diotrèphe apparaît comme un personnage important, peut-être le responsable d’une communauté qui ne reconnaît pas l’autorité de l’auteur qui se présente comme « l’Ancien » et rejette ceux qu’il envoie : des prédicateurs ou des missionnaires. La lettre est un encouragement à soutenir ces envoyés ; il n’y a pas d’allusion à l’hérésie combattue par les deux premières lettres, mais peut-être que Diotrèphe est compromis avec ceux qu’on présente dans les deux premières lettres comme « les séducteurs » ou « les prophètes du mensonge ». Diotrèphe serait donc ce personnage médisant qui fait obstacle à la prédication de l’Eglise et la détourne de l’attente de la seconde venue du Messie.

La médisance n’est pas une chose rare, des choses méchantes proférées contre nous (et par nous aussi accessoirement), cela appartient au quotidien. Mais dans ce domaine, il en va comme de la météo : il y a la température réelle et la température ressentie. Il est plus facile d’aborder un problème semblable, quand nous n’avons pas à le traiter dans notre propre contexte. Alors si vous le voulez bien, parlons de nous en parlant des autres, ça devrait nous simplifier la tâche… Mais ne soyons pas dupes de notre propre subterfuge.

Le problème abordé dans cette petite épître peut concerner chacun de nous, même si personne n’est en train d’agir comme Diotrèphe. Cette épître nous montre en effet, que notre santé spirituelle, ou, comme Jean le dit plus directement, la « prospérité de notre âme », c’est le revers de la médaille de l’orgueil et de nos tentations autoritaires ! Car on ne peut pas aller bien, spirituellement, et agir avec orgueil ! Première invitation : un check-up spirituel, vérifier la prospérité de notre âme, ou si vous préférez, ce qui représente un gain « de son point de vue. »

Visiblement, Gaïus et Diotrèphe étaient membres d’une même Église, quelque part en Asie Mineure. Diotrèphe ne donne pas l’impression de tomber dans l’hérésie dénoncée dans les deux autres épîtres ; son seul problème semble être l’orgueil spirituel, un peu comme s’il était devenu le « gourou » de cette communauté, par sa façon autoritaire de diriger. La raison donnée est tout simplement qu’il « aimait bien tout régenter. »

Il y a deux manières d’être « grand » : celle qui consiste à  s’imposer, en usant de son autorité, réelle ou imaginaire, ou bien, celle qui exige d’être le serviteur de tous. Diotrèphe a choisi d’être le « boss », celui qui ne partage pas, qui ne délègue pas et protège son périmètre. Tout ce qui peut affaiblir son autorité doit être éliminé et c’est précisément cette crispation qui est nuisible à la véritable communion avec le reste de la communauté.

Tout l’accent de cette épître est mis sur un comportement et non sur des opinions ou des doctrines. L’auteur ne reproche aucune hétérodoxie, aucune incartade doctrinale, mais une manière d’agir qui met « en dehors de la vérité » !

La clef de tout cela se trouve dans Marc 10.42-45 : « … Vous savez que ceux qu’on regarde comme les chefs des nations les tyrannisent, et que les grands abusent de leur pouvoir sur elles. Il n’en est pas de même parmi vous. Mais quiconque veut être grand parmi vous, sera votre serviteur ».

L’un des mots-clefs, dans cette épître, c’est « la vérité ». Jean utilise ce mot sept fois en quinze versets. Et la définition de la vérité, c’est le fait d’agir selon l’amour. C’est de là que vient la conclusion principale de la lettre, dans l’exhortation du v.11 : « bien-aimé, n’imite pas le mal, mais le bien. Celui qui fait le bien est de Dieu ; celui qui fait le mal n’a pas vu Dieu ».

Jean ne minimise pas le contenu de l’Évangile, l’importance de ce que nous croyons, il dit seulement que nous sommes dans la vérité lorsque nous agissons selon la vérité, et pas seulement quand nous croyons ce qui est vrai. Nous retrouvons le thème cher à Jean dans le reste de ses écrits, où il souligne le lien entre notre comportement et la vérité  comme 1 Jean 1.6 : « Si nous disons que nous sommes en communion avec lui, et que nous marchions dans les ténèbres, nous mentons, et nous ne pratiquons pas la vérité ». Il existe, en fait, un lien essentiel entre la foi – ce que nous croyons – et notre « fidélité » – ce que nous faisons. C’est sans doute pour cela qu’il nous faut marcher dans la vérité, plutôt que de la chercher. En somme, être véridique plutôt que de posséder la Vérité…

L’esprit de Diotrèphe dit, à propos des frères qui visitaient les églises : « Pourquoi viennent-ils ici ? Je suis ici. C’est à moi de veiller sur la vérité ; je n’ai jamais demandé leur aide, surtout que ce sont des étrangers, des intrus ».

Pourtant, les derniers versets (13 à 15) disent ceci : « J’avais beaucoup de choses à t’écrire, mais je ne veux pas t’écrire avec l’encre et la plume, j’espère te voir bientôt et nous parlerons bouche à bouche. Les amis te saluent. Salue les amis, chacun par son nom ».

Le mal est une chose qui s’accumule, se capitalise, mais « être véridique » ne pourra jamais devenir un avoir. Les grands artistes ont l’habitude de représenter le Christ, les apôtres et les saints avec une auréole sur la tête. Mais l’Écriture parle de tous avec une simplicité sans prétention : tous ont cherché à être véridiques et non à accumuler une vérité qu’on ne détient pas de toute manière. L’Esprit donnait l’énergie d’opérer des signes et des prodiges, tout en travaillant comme si l’on n’était rien. L’homme inspiré avait beaucoup de choses à écrire avec l’encre et la plume, mais il espérait voir son bien-aimé Gaïus et alors ils échangeraient de vive voix. Il préférait une communion vivante, et lui souhaitait la paix entre temps. Nous avons ici des amis se saluant mutuellement, non pas de manière vague, mais « chacun par son nom ». Ce salut nous encourage à rester véridiques, là où les humbles sont les plus grands, là où quelques hiérarchies sont inversées…

Saluons-nous tous de cette manière : soyons véridiques dans ce que nous faisons, avant tout. Pour ce qui est de la vérité, nous verrons bien… Nous savons reconnaître instinctivement la sincérité d’une poignée de main ou d’un regard. Mais nos grandes idées, que valent-elles vraiment ?

Le romancier Christian Bobin écrivait ceci : « L’intelligence est la force, solitaire, d’extraire du chaos de sa propre vie la poignée de lumière suffisante pour éclairer un peu plus loin que soi – vers l’autre là-bas, comme nous égaré dans le noir. »

Lorsque nous nous saluons d’une poignée de mains (sauf en cas de pandémie, évidemment), nous pensons sûrement que ce geste est un simple contact entre deux mains vides. Nous nous trompons peut-être : quand nous faisons des gestes véridiques en général, ou quand nous nous saluons, nous sommes certainement des passeurs de lumière. Il ne nous reste plus qu’à faire de notre église le lieu où se fait cet échange.

Didier Petit

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