Comment une écharde nous rend un fier service

2 Corinthiens 12, 1-10, ou comment une écharde nous rend un fier service

Nous avons ici une sorte de récit mêlé de spéculation et fondé sur l’un des nombreux souvenirs de l’apôtre Paul. Mais ce souvenir-là sort vraiment de l’ordinaire et nous ne pouvons (probablement) pas lui trouver un équivalent dans notre propre expérience : le 3e ciel, c’est par où ? 3e ciel ou paradis, Paul n’a pas l’air mieux renseigné que nous : « Est-ce dans son corps ou hors de son corps, je ne sais pas. Dieu le sait… »

Pour Jésus, la présence de Dieu est presque immédiate, mais dans le judaïsme et pour Paul, il n’est pas simple de contempler Dieu face à face. Le paradis du 3e ciel semble à la fois promis et insaisissable. Peut-être que nous devons nous contenter de cette ambiguïté…

Paul parle ici de deux « lieux » différents : d’une part le 3e ciel uniquement visible par le principal intéressé, autrement dit notre propre vérité intérieure dont nous n’avons qu’une vision furtive ; et d’autre part une autre vérité, extérieure cette fois-ci, située dans ce que les autres perçoivent de nous à travers nos paroles et nos actes.

Paul dit au fond ceci : « Mon paradis, je peux à la rigueur m’en rendre compte un court instant, mais je ne peux pas en rendre compte (à d’autres) ». C’est une réalité insaisissable qu’on ne peut pas prétendre posséder et qui est difficilement partageable. Pas étonnant qu’il attire notre attention sur le regard des autres. Ce que nous sommes, il faut aller le chercher au-dehors et au-dedans.

Quand Paul nous recommande de ne pas nous « vanter », il ne nous conseille pas une modestie ordinaire, il affirme plus fortement que nous ne devons pas nous noyer dans la contemplation de notre petit « paradis » intérieur.

Le remède à cette tentation de garder le nez coincé dans le nombril, Paul l’attribue à un élément mal connu. La fameuse « écharde » n’est pas identifiée clairement. Certains voient une maladie des yeux ou un aveuglement au sens figuré ; d’autres envisagent plutôt une maladie chronique, suffisante pour vous ramener constamment à ce que nous sommes.

Voilà pourquoi il nous entraîne dans ce raisonnement apparemment étrange : être faible pour être fort, accepter une « écharde » qui divise pour mieux vivre sa propre unité. La force au sens où nous l’entendons la plupart du temps n’est qu’une position de retrait oublieuse des autres, dans le meilleur des cas ; et dans le pire des cas, elle ressemble fort à ce qu’on appelle « le superbe isolement du pouvoir ». Dans les deux cas, c’est notre incroyable prétention à vouloir tout connaître « face à face ».

Quant à la fameuse écharde, elle tient plus ici de l’aide-mémoire ou du pense-bête qui nous rappelle que nous ne pouvons pas être nous-mêmes en ne comptant que sur nous-mêmes. La faiblesse dont parle Paul est une faiblesse apparente : elle est en réalité notre véritable force, lorsque nous acceptons les forces venues d’ailleurs…

Didier Petit

© Photo by Erda Estremera on Unsplash

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