Prédication du 31/01/2021

Prédication par Didier Petit

Texte : Luc XXI 25-36

 

Luc 21, 25-36

Voici un texte apocalyptique pour ce dimanche. L’avenir, décidément, est une chose bien inquiétante ! C’est une chose que je peux comprendre : je suis incapable de lire l’avenir, pas plus dans le marc de café que dans une boule de cristal ou dans les viscères d’un poulet… Il m’arrive de penser que c’est dommage : si je lisais l’avenir, je me comporterais autrement, sans aucun doute… Procrastiner, même, serait différent : ce serait une sorte d’acompte sur un non-événement, une non surprise… Bye-bye l’angoisse ! Quand on pense avoir les clefs de l’avenir, on ne peut plus faire quand on sait comme si on ne savait pas. Et puis cela donne un pouvoir énorme à celui qui possède ces fameuses clefs : ces versets peuvent susciter certaines vocations de gourous pour aller à la pêche aux adeptes. Le langage de la peur produit toujours des résultats exploitables, mais faut-il vraiment parler ce langage ?

Ce qui me frappe surtout, avec cette épineuse question de l’avenir, c’est notre incapacité à former des projets d’avenir avec un minimum de netteté : quelle société sommes-nous en train de bâtir, qui avance des projets mobilisateurs, qui ose parler d’espérance au milieu des catastrophes annoncées, qui se sent correctement outillé pour réparer ce qui s’abime ?

Par moments, nous avons envie que le présent se transforme en un objet curieux : un mélange de couette et d’armure, de la plume d’oie enrobée dans du Kevlar. Mais si le présent existe bel et bien, il disparaît au moment même où on l’évoque, et il est donc très difficile d’en faire un objet rassurant. Le présent ne nous servira jamais de hochet ou de « doudou ». Il va donc falloir affronter l’avenir à travers un pare-brise sale et avec un brouillard à couper au couteau. Et les sujets d’inquiétude ne manquent pas : crise financière puis économique, environnement dégradé, guerres préventives avec prétextes humanitaires pour couvrir des besoins énergétiques, retour d’une bigoterie identitaire qui cache mal ses appétits de conquête… Nous sommes servis !

Le sentiment de la stabilité éternelle du monde a été vraiment ébranlé : nous pouvons aujourd’hui imaginer qu’un conflit majeur, une pollution fatale, ou une épidémie incontrôlable, puisse mettre en péril notre existence même, et pas seulement la paix de certaines nations, ou la santé d’une région. Tout est globalisé, même la trouille. Autre disparition aggravante : nous avons aussi largement perdu confiance dans les vertus du progrès. Il y a encore bien des progrès réalisés chaque jour, mais ils ne fabriquent plus un optimisme général comme ils ont pu le faire dans un passé encore récent.

L’être humain que façonne une situation comme la nôtre ne paraît pas non plus très fréquentable : il ressemble à un animal qui peut devenir d’autant plus méchant qu’il a peur de manquer, peur de l’avenir, peur de ses voisins, peur de tout. Il paraît près à mordre.

Au milieu de tout cela, les Eglises chrétiennes sont discrètes, et peinent elles aussi à parler d’avenir. Peut-être parce qu’on leur a beaucoup reproché de sacrifier l’action dans le présent à la prédiction d’un avenir paradisiaque ? Nous avons, pendant des siècles, abusé du marc de café, en servant à un public inquiet un avenir radieux qui masquait notre incompétence dans le présent. Ce n’est pas un hasard si une religion séculière de substitution a pillé une partie de notre héritage en essayant de vendre des « lendemains qui chantent ». Ils n’ont pas chanté longtemps… Les certitudes, y compris apocalyptiques, sont aujourd’hui ébranlées.

La prédication chrétienne à propos de l’avenir a produit tout un éventail de visions, des plus pessimistes aux plus optimistes. Certains se sont appliqués à décrire un avenir de plus en plus noir, en général par mépris : « ce monde ne vaut pas la peine, quittons-le au plus vite. » Les optimistes voyaient l’installation définitive et certaine du Royaume de Dieu sur la terre, le mal disparaîtrait petit à petit, on ne remarquerait même pas le passage de l’histoire à l’éternité…

Il faut avouer que nous avons du mal à entendre ce type d’enseignement, car Jésus emploie un langage apocalyptique qui ne nous est plus familier. Alors, nous courons deux risques. Ou bien nous faisons de ces images des réalités politiques ou écologiques, et nous nous mettons à scruter l’histoire des catastrophes pour y lire le calendrier d’une fin programmée. Ou bien nous reculons devant cet enseignement sur un avenir marqué par des tensions et des luttes, en refusant d’y voir une partie de la réalité, et nous manquons alors de réalisme : le passé ne contient aucun avenir radieux dûment réalisé.

En fait, c’est le retour de la couette et de l’armure. Le problème, c’est qu’il n’y a pas de place là-dedans pour l’avenir du salut qui se joue, l’avenir de la justice et de la paix qui secouent et secoueront notre monde, jusqu’à… jusqu’à je ne sais pas trop quoi !

L’Evangile nous propose une nouvelle façon de vivre notre avenir, non pas en le refusant, mais en entrant dans une tension, une dynamique entre le « Jésus est venu » des origines, et le « Jésus vient » final. Une histoire a été fondée et nous tentons chaque jour de la réaliser. C’est bien ce qu’ont compris Luc et les chrétiens de son temps. Dans la manière même dont est rapporté l’enseignement de Jésus, on voit qu’ils y ont lu leur propre histoire, pas une histoire dont ils devaient avoir peur ou se défendre, mais l’histoire où ils étaient appelés à être témoins, quoi qu’il arrive, de Celui qui les avait avertis : « Quand ces événements commenceront à se produire, relevez-vous et redressez la tête, car votre délivrance sera proche ! ».

Certains, nous le savons, sont directement menacés dans leur vie même. De notre côté, et malgré les problèmes graves que nous rencontrons, c’est plutôt l’engluement dans la vie quotidienne qui nous menace le plus. Notre première vigilance, c’est donc sans doute d’essayer de regarder plus loin.

Nous sommes invités à regarder vers l’avenir, en osant la vigilance et l’espérance. La vigilance seule, ce serait la critique et la peur de tout. L’espérance seule risquerait fort de n’être qu’une illusion, un élan généreux mais sans suite. L’une ne peut pas se passer de l’autre, et il nous faut accepter cette tension, comme une ellipse à deux foyers.

C’est toute l’invitation de Jésus à la prière. La prière, c’est ce lieu de vigilance et d’espérance où nous pouvons vivre la tension de nos vies. Mais c’est aussi le silence où nous pouvons nous désengluer de nos habitudes, sortir de nos découragements. Nous avons sans doute aujourd’hui à redécouvrir la prière, pas comme un discours illusoire lancé vers le ciel, mais comme cheminement où nous pouvons entreprendre le voyage auquel nous invite Celui qui nous dit : « Voici, je viens bientôt ! ». La vie comme prière, si vous préférez.

Cette confiance ne vient pas d’une idée de Dieu comme « grand manitou », dont on pourrait percer les petits secrets. Elle ne prétend pas maîtriser l’histoire. Elle n’est pas une « assurance tous risques », mais elle naît de la parole qui tend notre présent vers le Royaume de justice, de paix et de vie. C’est une levure très particulière à incorporer dans notre pâte. Ceci fait, nous pouvons regarder l’avenir avec confiance et nous pouvons dire notre espérance, pour nous et pour notre monde.

A tout moment de l’année, nous nous demandons ce que nous attendons encore, comment nous l’attendons et en vue de quoi. Nous ne fuyons pas la réalité en nous réfugiant dans une méditation confortable, à la fois couette et armure, nous nous mettons en route pour aller chercher un avenir promis. Quand il y a beaucoup de brouillard, et qu’en plus le pare-brise est sale, le GPS qui dit l’avenir proche de la route à faire ne vous empêche pas d’avancer ; au contraire, c’est lui qui persuade que vous approchez du but. D’une manière ou d’une autre, il faut bien avoir confiance en quelqu’un ou en quelque chose.

Didier Petit

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