Prédication du 24/01/2021

Prédication par Didier Petit

Texte : Genèse I,1 à II,3

 

Genèse 1,1 à 2,3

Pourquoi choisir des textes célèbres et ne pas, au contraire, se concentrer pour une fois sur les « oubliés » de la Bible ? Premièrement les « oubliés » ne sont pas si délaissés que cela… Situés pour la plupart dans l’Ancien Testament, nous les voyons souvent repris par le Nouveau Testament et réactualisés, intégrés, ravivés. Deuxièmement, ce n’est pas parce qu’on est célèbre qu’on est bien connu. C’est principalement pour cette raison qu’il faut revenir sur les « grands » textes de la Bible : chacun peut les situer, en dire quelque chose, mais souvent nous ne les exploitons pas dans ce qu’ils ont de plus intéressant, ou bien nous restons bloqués dans l’usage qu’on a pu en faire à certains moments de l’histoire de nos Eglises.

C’est exactement le cas de ce premier chapitre de la Genèse. Qu’a-t-on vu, principalement dans le premier récit de la Création ? D’abord une cosmogonie, la naissance du monde ou d’un monde, un certain regard sur les raisons de notre présence au monde (avoir été « voulus » là par quelqu’un) ; ensuite une affirmation étonnante qui fait de nous des créatures à l’image et à la ressemblance du Créateur. Voltaire, assez moqueur, disait : « Dieu a créé l’homme à son image, et ce dernier le lui a bien rendu ! »

Ces deux thèmes ont déjà fait couler pas mal d’encre, vous vous en doutez, dans la tradition exégétique juive en premier lieu, dans la nôtre ensuite. Commençons par le premier thème ! Y-a-t-il ici une affirmation d’un commencement absolu de l’Univers ? Si c’est le cas, que faut-il en faire ? La tradition répond généralement par oui à la première question, et il nous suffit pour cela de nous rappeler la traduction habituelle : « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. »

Mais justement, les traducteurs d’aujourd’hui, très au fait des problèmes de traduction de ce passage particulier, ont parfois modifié profondément leurs propositions. Si vous prenez la TOB, il y a eu, entre 1975 et aujourd’hui, trois traductions différentes : 1. « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Et la terre était déserte et vide. » ; 2. « Lorsque Dieu commença la création du ciel et de la terre, la terre était déserte et vide. » ; 3. « Commencement de la création par Dieu du ciel et de la terre. La terre était déserte et vide, etc. » C’est le même comité de traduction qui a évolué au fil des années et qui donne trois versions différentes du texte hébreu. Si vous répétez ces trois commencements différents, vous verrez qu’il y a trois descriptions différentes du geste créateur de Dieu, mais aucune affirmation d’une création ex nihilo : cette idée, assez récente, est arrivée bien plus tard dans les livres deutérocanoniques. Le premier verset de la Bible n’affirme pas cela, il semble présenter Dieu sous les traits d’un potier qui façonne une matière préexistante et on ne nous dit que cela !

Faut-il abandonner cette idée d’un univers avec un début absolu ? Faut-il composer avec l’idée un peu angoissante d’un univers éternel qui se contente de se dilater et de se contracter, comme un cœur qui fait circuler le sang dans l’organisme ? Faut-il vraiment choisir entre les deux ? Que peut-on faire de ce texte aujourd’hui ?

La cosmologie est une affaire de spécialistes, ce sont plutôt les physiciens aujourd’hui qui nous disent comment peut fonctionner cette énorme machine. Les théologiens n’osent plus affirmer quoi que ce soit sur ces questions et c’est peut-être une bonne chose. Il ne faut plus s’occuper de décrire le monde alors que d’autres ont les compétences pour le faire ; il vaut mieux se demander ce que nous faisons dans ce monde et si l’affirmation d’un Dieu créateur nous donne des perspectives spécifiques et fructueuses. C’est de cela que nous devons nous occuper. Et c’est précisément ce que nous trouvons dans le premier chapitre de la Genèse : peu importent la naissance, la vie et la mort de ce monde, d’autres s’en occupent ! Demande-toi plutôt ce que cela te fait de savoir qu’un autre t’a voulu, là où tu es, en mettant de l’ordre là où régnait le chaos. Demande-toi si le meilleur moyen d’être là n’est pas, justement, de mettre un peu d’ordre dans ton propre chaos ! Si ce commencement est important pour nous, c’est parce qu’il fait de nous des cherchants en quête de verticalité, des individus et des communautés qui cherchent à s’élever, à s’édifier ; et non pas les détenteurs d’un supposé savoir sur les origines que même les spécialistes hésitent à prétendre définitif !

Mais le texte ne se contente pas de nous dire que nous sommes là, il précise aussi aux versets 26 à 28, comment nous sommes configurés : à l’image et selon la ressemblance de Dieu (relire, + Genèse 5, 3). Il y a ici, très clairement, l’idée d’une conformité par rapport à un modèle. Il ne faut pas oublier que ces textes anciens s’inspirent eux-mêmes d’autres traditions encore plus anciennes : les commentateurs estiment qu’on retrouve ici le modèle égyptien dans lequel le pharaon est l’image de Dieu dans la mesure où il reflète la volonté de Dieu face au peuple. La version hébraïque ne fait que démocratiser cette conception en l’étendant à l’humanité entière, désormais porteuse de cette exigence.

Ce n’est pas rien d’apprendre qu’on est convoqué par une exigence, c’est ce qui nous invite au discernement, c’est-à-dire à un travail de recherche, une quête là encore ! Etre à l’image de quelqu’un, être conforme, c’est vraiment ordonner sa vie en fonction de cette exigence ; c’est difficile et long, peut-être incertain… En tout cas, on n’est pas à l’image de quelqu’un d’autre quand on se contente de le singer, de l’imiter comme un humoriste qui reprend la voix et les mimiques d’une personnalité pour amuser la galerie. On est « à l’image de », « selon la ressemblance de » lorsqu’on décide de se façonner soi-même selon un modèle, ou encore honorer le modèle pour mieux devenir soi-même.

Mais que faut-il faire pour construire cette image fidèle ? L’idée de péché fait constamment référence à ce texte qui pourtant n’en parle pas. Pourquoi ? Parce que le péché peut être vu comme un brouillage, une détérioration de cette image. Et la vie entière est cette aventure où chacun doit reconstituer cette image abîmée, difficile chemin pour parvenir à soi sans être certain d’y arriver, ou du moins d’y arriver seul !

La Genèse est bien le livre des commencements. Le premier chapitre ne se contente pas de « planter le décor », il nous dit en quoi consiste notre vie, il déroule devant nous la tâche qui nous attend. La Genèse ne nous renvoie pas à un passé immémorial dont on ne peut rien faire, un pseudo savoir sur les origines ; le premier récit de la création fait de nous des femmes et des hommes en recherche, invités à s’édifier, s’élever, se verticaliser, pour reconstituer pièce par pièce un miroir cassé dont le reflet n’est qu’une fiction inversée. Animal social qui met plusieurs mois avant de se reconnaître dans son propre reflet, l’humain que nous devons devenir doit reconstituer sa propre image et faire confiance aux autres qui la voient enfin telle qu’elle est. Difficile chemin pour arriver à soi !

Nous sommes devant le miroir tous les matins et chaque jour est un recommencement, une étape supplémentaire dans notre construction de nous-mêmes. Le génie de ce récit est de nous mettre sur la voie de cette construction, en nous fixant une exigence et en nous trouvant des partenaires. C’est ainsi que nous devenons un peu créateurs, en mettant un peu d’ordre dans notre chaos.

Didier Petit

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