Prédication du 03/01/2021

Prédication par Didier Petit

Textes :Isaïe LX 1-6, Éphésiens III 2-6, Matthieu II1-12

 

Matthieu 2, 1-12

Ce début d’Evangile contraste beaucoup, chez Matthieu, avec ce que Luc nous dit des commencements. Pas d’annonces à répétition, en passant par chez la cousine Elisabeth, pas de vierge enceinte du fait du St Esprit, pas de bergers ! On est tout de suite dans l’action (« Jésus étant né à Bethléem » on ne nous dit pas comment…), on a affaire à des personnages importants (les Mages, Hérode et les spécialistes de la Loi) et on assiste à des intrigues qui débouchent sur des événements tout à fait dramatiques : un massacre de masse d’enfants innocents. Plus de scènes bucoliques, plus de faire-part, plus de biberons, plus de layette !

Le plus curieux, c’est cette candeur des Mages qui arrivent à Jérusalem et demandent « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? », alors que le monarque en place, un adulte en pleine possession de ses moyens, est toujours assis sur son trône ! On dirait une bande de naïfs qui chantent les louanges du petit nouveau avant que le « sortant » ait eu le temps de sortir… On frise l’outrage, non ? N’y aurait-il pas provocation, lèse-majesté ?

Parmi les autres personnalités marquantes, il y a aussi les spécialistes de la Loi divine, pas de simples juristes par conséquent. On a toujours besoin des experts dans l’entourage du pouvoir, y compris d’experts religieux. Leur tâche n’est pas aisée, ils ont une marge de manœuvre assez étroite : être un simple outil d’aide à la décision sans devenir un outil de domination et de contrôle social. Pas facile… C’est peut-être la raison pour laquelle ils ont choisi de revenir au texte de la prophétie. L’avantage avec ce qui est écrit, c’est que malgré les possibilités d’interprétation, on peut toujours se réfugier derrière l’immuabilité d’un texte pour éviter une discussion gênante avec un N + 1 qui risque de vous occire en cas de désaccord parfait ! Depuis des siècles, on nous dit « Bethléem », alors ça doit être Bethléem. Un passé invariable, ça rassure… face à un avenir incertain. C’est très appréciable !

Enfin, il y a Hérode. On le dépeint ici comme un roi plutôt fourbe, calculateur, et criminel de masse. Chez Luc, c’est César qui fait office de tyran ; chez Matthieu, c’est Hérode, et il est pourtant le vrai roi des Juifs. Proche de la dynastie hasmonéenne qu’il rejoint par alliance et qu’il contrôle d’une main de fer, on lui doit notamment l’extension du Second Temple bien au-delà de ses proportions originelles. En nommant des Grands Prêtres d’origine étrangère et en favorisant la culture hellénistique, il est surtout opposé aux Pharisiens, partisans du retour à une certaine pureté religieuse. Voilà pourquoi les spécialistes de la Loi dont il est question un peu plus tôt semblent marcher sur des œufs : ils craignent Hérode car ils connaissent quelques-unes de ses exactions, comme l’exécution de trois de ses propres fils, soupçonnés d’avoir voulu le pousser de son trône ! Il semble capable de beaucoup de choses, même si l’historicité du Massacre des Innocents est sujette à caution…

Si nous revenons aux Mages qui sont au centre de ce texte, nous découvrons autre chose que des naïfs illuminés. Ils sont même à l’opposé des spécialistes de la Loi : refusant d’être des agents de renseignement au service d’Hérode, ils se tiennent à l’écart de toute manipulation pour empêcher Hérode d’éliminer la concurrence. Malheureusement, ils ne pourront rien contre la cruauté d’Hérode après leur départ.

Pourtant, ils représentent bien quelque chose, ces Mages. La Tradition nous les présente sous différents aspects, autant de propositions de « lectures ». Ils ne se sont jamais appelés Balthasar, Gaspar et Melchior, on ne sait d’ailleurs pas s’ils étaient trois, quatre ou davantage et cela n’a aucune importance ! On les a, en revanche fait représenter trois couleurs de peau bien différentes ; c’est également la Tradition qui l’affirme et non le texte, mais c’est pour mieux souligner l’universalité de ces curieux invétérés, arrivés là en poursuivant une étoile. Manière de dire : « C’est du monde entier qu’on l’a vue briller, cette étoile, de tous les coins du monde ! » Pourquoi pas ?

On les a aussi fait représenter tous les âges de la vie, comme si notre vie entière devait être sous le signe de la quête de cette étoile. N’est-ce pas extraordinaire de savoir que notre vie entière tient sa valeur de cette volonté de chercher, d’être prêts à partir chercher ailleurs ce qu’on pensait détenir une fois pour toutes ? Et si notre vie consistait à ne jamais posséder une lumière aussi brillante ? Et si notre capacité d’étonnement ne devait rester intacte qu’en se contentant de la contempler et de la suivre, de s’en approcher un peu sans jamais la rejoindre ? Et si c’était le seul moyen pour qu’elle nous emmène partout dire que, nous aussi, nous l’avons vue briller, et que nous ne sommes pas seuls à l’avoir vue ?

Les Mages ne sont pas les vulgaires astrologues que certains ont cru reconnaître dans ces personnages, symboles de la superstition des nations païennes venus se prosterner enfin devant une sagesse étrangère plus grande que la leur. Ils l’ont, au contraire, reconnue comme une sœur, comme un phénomène cosmique, une révélation d’une importance telle qu’elle justifiait qu’on abandonne tout pour la suivre.

Voici ce qu’écrivait George Orwell dans son roman 1984 : « Quand nous serons tout-puissants, nous n’aurons plus besoin de science. Il n’y aura aucune distinction entre la beauté et la laideur. Il n’y aura ni curiosité, ni joie de vivre. Tous les plaisirs de l’émulation seront détruits. Mais il y aura l’ivresse toujours croissante du pouvoir, qui s’affinera de plus en plus. Il y aura toujours, à chaque instant, le frisson de la victoire, la sensation de piétiner un ennemi impuissant. Si vous désirez une image de l’avenir, imaginez une botte piétinant un visage humain… éternellement. »

Il est bien possible qu’Hérode ait eu en tête quelque chose d’assez voisin. Voilà pourquoi les Mages ont eu raison de s’éloigner d’Hérode, de le fuir et de retrouver leur quête infinie : il n’y a que lorsqu’on garde intacte sa curiosité et son humilité devant une vérité lumineuse qu’on en profite le mieux.

En rejoignant l’étoile au-dessus du lieu où se trouvait l’enfant, les Mages offrent trois cadeaux : de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Ces trois éléments ont toujours été le symbole de la richesse des rois, du sacerdoce des prêtres et de la mort. Comme si Matthieu nous brossait déjà le tableau de ce qui attend cet enfant qui vient de naître.

Les Mages sont les premiers Apôtres, bien avant que le Nouveau Testament utilise ce mot. Une vérité lumineuse qu’on ne possède jamais mais qui se laisse apercevoir de partout les a fait traverser la totalité du monde connu de l’époque. Si ce mot n’est pas trop galvaudé aujourd’hui, nous sommes aussi des Apôtres venus de partout et prêts à aller partout, qui refusent de posséder les gens et les choses, mais suivent seulement une curiosité jamais mal placée, un éternel besoin de savoir et une envie de partager les éclats, les rayons et les lueurs que nous avons contemplées ou simplement entraperçues. Amen.

Didier Petit

 

 

 

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