Prédication du 25/12/2020

Prédication par Didier Petit

Texte : Isaïe LII 7-10

Esaïe 52, 7-10

Nous avons peut-être en tête, en relisant ces lignes, une certaine image du Dieu dont nous parlent ceux qui, il y a très longtemps, ont produit des textes religieux très anciens. On a parfois l’impression qu’il s’agit de représentations classiques d’un Dieu transcendant, céleste jusqu’à la pointe de la barbichette, un peu retiré dans son ciel mais décidant tout de même de temps en temps de faire retentir une parole péremptoire, avant de se retirer de nouveau pour raisons personnelles.

Mais il y a toujours moyen de changer ses propres représentations, à partir du moment où l’on sait qu’elles sont partielles, provisoires, non contraignantes pour soi-même ni, a fortiori, pour les autres. On trouve pêle-mêle, le Dieu « pur esprit », le Créateur, le Tout-Puissant, l’Omniscient, l’Omnipotent, etc. jusqu’à une petite voix intérieure un peu faible, une collection de « valeurs », une référence culturelle, etc. Du plus consistant au plus vaporeux… Il faut bien reconnaître que la plupart du temps, en employant ces expressions toutes faites, nous ne savons pas vraiment de quoi nous parlons !

Malgré ce constat, il reste chez nous l’impression assez forte qu’en choisissant l’une ou l’autre de ces images, nous accédons de toute manière à l’essentiel, comme si l’imperfection du moyen ne suffisait pas à gâcher l’objectif. C’est compter sans le fait que les mêmes mots produisent des sens très différents pour chacun d’entre nous, et que nous pensons aussi trouver un sens unique sous des mots très différents, ce qui complique encore notre affaire !

C’est peut-être à cause de cette complexité difficile à maîtriser que nous sommes tentés de simplifier, d’affirmer qu’il existe une même réalité sous des mots très relatifs. Les choses ne sont pas simples à l’intérieur d’une même religion, ou d’une même confession ; imaginez ce que cela peut donner dans le dialogue interreligieux ! Entre ceux qui soulignent l’unicité de Dieu et ceux qui aiment faire des distinctions et des nuances, le plus difficile est toujours de se mettre d’accord sur le sens des mots qu’on emploie. Après cette clarification, le dialogue peut commencer. Mais, est-ce le cas seulement pour la théologie ? Est-ce que nous ne sommes pas constamment tenus d’être clairs à chaque fois que nous ouvrons la bouche ?

La Bible ne nous aide pas à faire le tri, comme si c’était à nous de nous débrouiller avec le foisonnement de ses textes. En effet, toutes ses conceptions paraissent possibles. Un simple exemple suffira. Dieu est parfois présenté dans les Ecritures sous le mot pluriel Élohim qui semble ne pas correspondre au singulier évoqué par « le Seigneur » par exemple; et pourtant, nous pensons bien évoquer la même réalité en employant l’un ou l’autre. Jésus ne nous facilite pas la tâche non plus quand il se réfère à un « Père » dans lequel on peine à reconnaître le Dieu juge de toute la terre mis en avant dans des textes plus anciens !

Vous vous demandez peut-être où tout cela va nous mener, s’il est possible de trouver finalement un moyen efficace de faire le tri dans tout cela et de ne garder que ce qui pourrait convenir, une sorte de formule moyenne qui satisferait tout le monde… comme un enfant couché sur de la paille, par exemple. Mais la complexité nous fait-elle si peur que cela ? Est-ce que nous n’en trouvons pas plus que des traces dans nos cantiques qui semblent jongler assez bien avec cette belle diversité ? Nos liturgies portent aussi la marque de cet éclectisme décomplexé : le Dieu qui accueille, qui pardonne, qui parle, qui nous relie aux autres, et qui finalement nous renvoie avec des encouragements reprendre le cours de nos vie.

Notre expérience personnelle nous apprend que, même si ces images ne sont que ce qu’elles sont, relatives, liées à notre faiblesse, notre difficulté à comprendre, il importe surtout de se demander de quelle manière le Dieu dont on parle se manifeste dans ce que nous disons et faisons. A ce moment-là seulement, nous savons mieux de qui nous parlons, puisque Dieu se réfracte dans des situations dans lesquelles nous sommes impliqués, dans des visages qui nous font face, dans des conversations où nous sommes attendus.

Il est alors celui qui console, celui qui redresse, celui qui demande de l’aide, un peu plus de temps, de compréhension, de patience… Avons-nous trouvé la panacée universelle dont je parlais plus haut ?

C’est ici qu’il faut nous souvenir du texte d’Esaïe que j’avais, c’est vrai, un peu laissé de côté. Voilà que surgit ce verset étrange et beau : « Qu’ils sont beaux sur les montagnes les pieds de ceux qui apportent de bonnes nouvelles ! » On se demande vraiment de qui parle Esaïe, et pourquoi on décrit ainsi ce mystérieux personnage.

Personnellement, je ne regarde pas les pieds des gens qui me parlent, peut-être parce qu’on m’a appris à regarder les yeux ou du moins le visage, sans être trop insistant. Et vous ? Que regardez-vous ? De qui Esaïe est-il en train de nous parler : de Dieu directement (comme s’il cherchait à en donner une définition), ou de celui qui parle en son nom ?

S’il parle de Dieu, il s’agit d’un Dieu lui aussi « multifacettes », ce qui n’arrange pas nos affaires : je vous rappelle que nous allions vers un peu plus de simplicité et de clarté ! Et s’il se dissimule, comme le suggère Esaïe, derrière les porteurs de bonne nouvelles, nous ne sommes pas près de nous y retrouver ! Sauf que ces bonnes nouvelles ne sont pas anodines ; ce qui signe le message divin, ce sont les effets d’une parole donnée, d’une présence effective : « La bonne nouvelle » est porteuse de paix et de salut pour les nations. C’est exactement le message que nous voulons associer au jour de Noël !

La paix nous a toujours plus ou moins échappé, si nous voulons bien être honnêtes face à l’histoire humaine. Elle désigne pourtant l’harmonie que nous vivons pour de vrai quand nous sommes porteurs de la bonne nouvelle. La paix est presque une conséquence logique de ce Dieu fait homme au cours d’une nuit qui bouscule nos mots et expressions, nos habitudes, nos manières de vivre et de comprendre le monde. Est-ce exagéré de dire qu’elle fait de nous des parfaits, des accomplis ?

En tout cas, nous sommes créés d’une manière nouvelle. L’intervention de Noël n’avait pas pour but de nous faciliter la tâche en nous aidant à choisir un mot plus simple, plus clair, plus explicite, pour faire un peu le ménage dans nos têtes encombrées. Elle nous renvoie encore à du pluriel : Dieu prend encore et toujours tous les visages que lui prêtent les circonstances.

Mais dorénavant, notre vie trouve son accomplissement lorsque nous nous savons approchés par un tout petit semblable, encore faible, mais prometteur de bonne nouvelle, de paix et de salut.

Pourquoi la faiblesse, me direz-vous ? Mais pour mieux nous montrer qui nous sommes et à quoi nous sommes appelés. Nous avons tous ressemblé à cet enfant arrivé en catimini pendant la nuit. Nous sommes invités à ressembler à ce porteur de bonne nouvelle dont seuls les pieds semblent importants : notre vie est toute tendue entre ces deux points ! Pourquoi les pieds ? Parce que, pour un moment, il faut se soucier davantage des lieux que Dieu a décidé de visiter en se déplaçant avec nous, et laisser un peu de côté les visages que nous tentons maladroitement de lui donner par l’imagination ! C’est aussi pour cela qu’il a et aura toujours plusieurs visages possibles : pour brouiller les pistes. Les pieds du porteur de bonnes nouvelles ne perdent pas la piste. Amen.

Didier Petit

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