Prédication du 20/12/2020

Prédication par Didier Petit

Textes : 2 Samuel VII 1-17, Luc 1 26-38

 

Luc 1, 26-38

Elle en a de la chance, la petite Marie, jeune fille sans qualités particulières, d’accoucher de l’homme-Dieu, à la fois Jésus, Fils du Très-Haut, Fils de David et Fils de Dieu ! Excusez du peu… Ce texte n’est certainement pas celui que nous relisons le plus souvent, dans le Nouveau Testament, et pourtant, il y a quelque chose de vibrant dans ces lignes, comme si l’on cherchait à faire ressortir ce qu’il y a de meilleur chez nous.

C’est l’histoire d’une jeune fille tout à fait anonyme, sans titre ni prestige, qui est devenue pour les siècles qui suivent une histoire unique, fondatrice. La tradition a certainement surexploité son histoire au point de faire d’elle le centre de l’attention, la mère de Dieu et la reine des cieux. Au moins, la mère veillait sur le petit pendant que le père était absent pour raisons professionnelles : on ne peut pas être à la fois transcendant et passer son temps à la maison…

Loin de ces surinvestissements de la tradition, Marie a certainement eu une existence conforme à la plupart des jeunes filles de son époque. Mais c’est peut-être justement l’irruption de l’extraordinaire dans l’ordinaire qui nous fait cet effet. Il y a dans cette histoire quelque chose qui rappelle de nombreux personnages de la Bible. Abraham ne se serait pas levé pour quitter sa maison et les siens s’il n’avait pas cru à la promesse d’avoir un peuple et une terre. Samuel n’aurait pas été le prophète qu’il fut toute sa vie s’il ne s’était pas rendu disponible si spontanément. Salomon n’aurait pas été le roi que l’on sait s’il n’avait pas attendu avec confiance la sagesse qu’il demandait, etc. De la même manière, si Marie n’avait pas répondu à un appel, elle n’incarnerait pas pour nous le modèle d’une confiance bien particulière.

C’est sans doute grâce à ce qu’incarne Marie que nous sommes parfaitement protégés contre le merveilleux, les apparitions angéliques, le miraculeux ou le sensationnel qui imprègne notre texte et dont beaucoup se sont contentés. Le fond de l’affaire (la confiance) n’est pas forcément bien desservi par la forme : une histoire merveilleuse a pour but de nous interroger sur la présence de Dieu en nous. C’est un langage symbolique qui invite à voir ce qui se cache derrière les mots et les images.

Si l’on revient à Marie, on se dit que l’enfant qu’elle porte ne sera peut-être pas facile à élever : en suivant le court de l’Evangile de Luc, on découvre peu à peu qu’il a fugué à 12 ans forçant ses parents à se faire un sang d’encre. Son comportement un peu à la marge ne cessera de les inquiéter : comment comprendre un garçon qui passe le plus clair de temps avec les plus grands Maîtres, fins connaisseurs de la Loi, assis avec eux au beau milieu du Temple ? Comment comprendre qu’il finisse par tourner le dos à sa propre famille, à une vie toute tracée, un métier, si ce n’est pour imiter Abraham, Samuel ou Salomon dont je parlais un peu plus haut ?

Marie, dans notre texte, ne le sait pas encore. Ce qu’elle sait, c’est qu’elle doit aussi suivre cette même démarche : une confiance qui engage un avenir encore indiscernable. Aucune mention de sa vie, chez Luc, entre les premiers chapitres et le jour où on la retrouve au pied de la croix. Le parcours de Marie est, pour ainsi dire, presque achevé ici. Ce qui est intéressant chez elle est donc ce qu’on n’a pas dit : pas de recrutement de disciples, pas de fondation d’une quelconque « école », pas d’enseignement ni de programme, quel qu’il soit. Sa vie se résume à un rôle de maillon dans une chaine de transmission, une sorte de catalyseur ou de déclencheur.

Peut-être que c’est exactement ce qui est attendu de nous : dès que nous faisons normalement ce que nous avons à faire, nous sommes comparables à ce que fait Marie ici. Le thème de la transmission est bien celui qui a été choisi pour notre fête de Noël de la semaine dernière. Toutes les interventions avaient pour but de nous poser les deux seules questions qui vaillent : qu’avons-nous reçu ? que sommes-nous prêts à transmettre ? En étant simplement membres de l’Eglise comme c’est le cas ici et maintenant, nous travaillons à la construction d’une espérance lucide, nous sommes également prêts à laisser la place à ceux qui, après nous, produiront le même effort. Ils ne sont pas très grands, pas encore prêts, mais nous avons suffisamment confiance pour voir en eux ceux qui seront l’Eglise après nous.

Au fond, un ange nous apparaît, et la puissance du Très-Haut nous couvre de son ombre chaque fois que nous faisons en Eglise la démonstration que nous sommes prêts à donner vie à ce qui nous succèdera. Les transmetteurs d’espérance que nous tâchons d’être reçoivent cette même promesse d’une grâce qui nous a été faite : l’Eglise, appelée corps du Christ, est une naissance perpétuelle que nous nous remémorons pendant les temps de l’Avent et de Noël. L’annonce faite à Marie réaffirme pour nous tous que Dieu est partie prenante de ce que nous vivons : ce n’est pas ce qui se voit qui a de l’importance, mais plutôt ce qui est annonciateur de ce Royaume en cours d’avènement, toujours en gestation.

Ici, nous retrouvons l’irruption de l’extraordinaire dans l’ordinaire : ce ne sont pas les puissants qui, seuls, font l’histoire, ceux qui ressemblent à César ou à Hérode. Ils emploient leur énergie à ajouter du hasard à du hasard, du chaos à du chaos, remuent beaucoup de choses pour ne rien changer et perpétuer le même désordre. D’ailleurs, de qui a-t-on retenu le nom ? Hérode, César ont disparu des mémoires et les historiens qui en connaissent la biographie exacte n’en ont jamais fait les précurseurs de quoi que ce soit ! Nous avons retenu le nom de cette jeune fille sans qualités particulières, et celui de son fils dont l’avenir était loin d’être assuré !

Luc nous met en parallèle deux récits presque concurrents. Le premier est celui de l’annonce à Marie, le second est celui de l’annonce à Zacharie. Si vous relisez les versets qui achèvent ce premier chapitre, vous pourrez voir les différences. Zacharie demande la confirmation de la promesse de naissance, alors que Marie se contente de demander comment cette promesse pourra prendre place. La foi/confiance qui nous est décrite ici est tout sauf la soumission à un destin aveugle, elle est surtout le consentement au fait de devenir acteur du projet divin parmi nous.

En faisant d’une jeune fille sans qualités particulières la reine du ciel ou la mère de Dieu, la tradition a probablement essayé de renvoyer Dieu dans son ciel pour qu’il ne se mêle pas de nos affaires. En pure perte, d’ailleurs. L’incarnation qui vient le jour de Noël n’a pas bouleversé le calendrier, il faut laisser cela à Hérode, à César et à tous ceux qui ont pris la suite. En revanche, la venue d’un Dieu en nous bouleverse notre rapport à l’espérance et à nous-mêmes.

S’il existe un appel, une vocation, c’est bien celle-ci : l’espérance est cette capacité que nous avons de faire de notre vie un moment de transmission confiante. Il ne doit pas être facile d’avoir 20 ans en 2020, surtout avec les dizaines de discours qui assurent qu’il n’y a rien à attendre. Pourtant, ceux qui mettront bientôt au monde leurs propres enfants accoucheront aussi d’un monde où il y a encore beaucoup de choses à attendre !

Didier Petit

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