Les invités au festin des noces

Matthieu 22, 1-14
Jésus annonce et installe un Royaume qui fait rupture avec ce que le peuple et les responsables religieux attendaient : il ne sera ni un roi sur le modèle de Saül, David ou Salomon, ni un réformateur religieux parmi d’autres. Et comme le premier « public » concerné dédaigne l’invitation, le Royaume s’étend désormais – après une petite expédition punitive – à ceux qui n’avaient pas reçu de carton d’invitation : ceux qu’on a pu « ramasser », sur les places, dans les rues, derrière les palissades, au fond des caves ou ailleurs.
On pourrait dire : jusqu’ici, tout va bien, simple rappel d’une élection qui s’étend, non plus à un peuple particulier, mais à tous ceux qui répondent désormais à l’appel. Seulement, la fin du texte s’attarde sur l’éviction de quelqu’un qui n’appartient pas, a priori, à la catégorie des récalcitrants incurables ni à celle des grognons définitifs.
Pourquoi tant de haine ? Pourquoi un invité se fait-il chasser sans ménagement pour une simple entorse au code vestimentaire de la soirée ? Dans cette parabole, le roi ressemble au « physionomiste » d’une boîte de nuit qui vous stoppe à l’entrée avec le plat de la main et ses 130 kg et, après vous avoir examiné de la tête aux pieds, vous renvoie sur le trottoir avec un lapidaire « ça ne va pas être possible » …
Ce qui nous gêne, c’est la collision frontale entre la promesse d’une alliance qui s’élargit à l’humanité entière et l’application de critères de recrutement aussi restrictifs qu’obscurs. On aurait pu nous dire que si cet homme est exclu, c’est parce qu’un problème spirituel ou moral insoluble rend sa présence indésirable. Mais ce n’est même pas le cas : il n’a pas le bon vêtement ! Alors, c’est ça, le nouveau Royaume : quitter le terrain glissant de la morale ou des choses de l’esprit pour « causer chiffons » ? À tous ceux qui nous adresseraient cette question gênante, nous aurions bien du mal à répondre… Que devient l’accueil inconditionnel qu’on appelle la grâce ?
Tout se rapporte à ce curieux vêtement non conforme. Dans la Bible, les vêtements disent souvent ce que sont nos relations avec Dieu et les autres, ils figurent la plus ou moins grande maturité que nous démontrons dans ces relations. Le premier couple de l’humanité qui jusque-là n’avait pas honte d’être nu, éprouve soudain le besoin de s’habiller avec une tunique de peau parce qu’il y a tout à coup quelque chose à abriter, quelque chose d’aussi précieux que l’intimité. Rien de mauvais dans ce besoin puisque c’est Dieu qui confectionne ce vêtement : il supprime une transparence insupportable et nous permet de choisir ce que nous consentons à montrer de nous-mêmes. Il sépare le privé du public, comme les eaux d’en haut des eaux d’en bas. Il abrite ce qui nous appartient en propre et laisse visible ce que nous voulons bien montrer à d’autres.
S’agit-il de cela dans la parabole du festin ? Apparemment non, puisque personne n’est nu. Mais dans le port d’un vêtement qui ne convient pas, il y a une impréparation et une négligence qui ne trouvent pas de justification. À tel point que, lorsqu’on demande à cet homme pourquoi il n’a pas de vêtement de noce, il reste muet… Le pire qui puisse nous arriver n’est pas de nous sentir nus par moment : il suffit, comme Adam et Eve, d’avouer que nous avons eu peur. Mais lorsqu’il s’agit de montrer notre engagement dans le Royaume, le pire aveu de désespoir serait de n’avoir plus rien à dire !
Pasteur Didier Petit