Prédication du 30/08/2020

Prédication par Didier Petit

Texte : Jean III 16-18

 

Jean 3, 16-18

 

« La loi générale de l’amour se résout dans la loi de sacrifice, dans la préférence des autres à soi, de tout vivant à chacun de ses membres, de la société à l’individu. » Félicité Robert de Lamennais, Esquisse d’une philosophie

« On ne refuse pas un cadeau, cela attriste le donateur, car les cadeaux sont aussi des sacrifices. » Jean Dutourd, Mémoires de Mary Watson

 

Nous ne sommes pas à l’aise avec les questions sacrificielles. Non pas que nous ne soyons plus capables de comprendre ce qu’est un sacrifice, voire même de faire don de notre personne, de temps à autre. Mais nous redoutons d’avoir sous les yeux le prix même du sacrifice, il nous paraît indécent de le regarder, comme si celui qui nous offrait un cadeau avait oublié d’enlever l’étiquette du prix…

Parce qu’il y a bien un prix à payer, et Jean n’escamote pas le problème : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. » Si on s’en tient à ce seul verset, il est impossible de ne pas penser à d’autres enfants uniques sacrifiés « pour une bonne cause ».

Il y a bien sûr Isaac, le fils unique, que Dieu demande en sacrifice à un pauvre Abraham accablé de chagrin (Genèse 22). L’issue de l’histoire est heureuse puisqu’un animal prendra la place du fils. Et parce que l’histoire finit bien pour Isaac, nous concluons un peu rapidement que ce n’était pas un sacrifice sanglant, que finalement le pire a été évité. Ce serait oublier que le bélier substitué a bien été tué à la place d’Isaac : il y avait bien un prix à payer !

Il y a aussi des cas plus tragiques, comme celui de la fille de Jephté dans le livre des Juges (Juges 11). Jephté fait à Dieu un vœu étrange : « Si tu me donnes la victoire contre les Ammonites, j’offrirai en holocauste la première personne qui viendra à ma rencontre à mon retour ! » Pas de chance, c’est sa propre fille qui vient l’accueillir au moment de son retour de la guerre. Il doit pourtant s’exécuter (si j’ose dire) et sa fille mourra conformément à sa promesse !

Comment « fonctionnent » ces deux histoires ? C’est bien un sacrifice qui occupe chacun de ces deux récits. Mais le point commun est dans les deux cas que les victimes ne sont pas consentantes (ni Isaac, ni le bélier de substitution, ni la malheureuse fille de Jephté).

Le don du Fils au monde n’est pas dans le même registre : pas de système sacrificiel classique où celui qui a besoin de se faire pardonner offre un cadeau pour détendre un peu ses relations avec un dieu en colère ; pas de vœu inconsidéré, pas de pari idiot aboutissant à un sacrifice inutile (dans le cas de la fille de Jephté, la mort est absurde puisque la victoire contre les Ammonites est déjà acquise : le père rentre victorieux).

La vraie différence est que Jean ne se situe pas de notre côté, nous qui tentons dans notre vie de tirer les conséquences du sacrifice d’un autre : « Quelqu’un est venu pour moi, s’est SACRIFIE pour moi ! » Nous pouvons difficilement voir les choses sous un autre angle que celui-là.

Jean se place du côté de Dieu (eh oui, carrément !) en présentant la venue du Fils comme un don que rien n’oblige. Le bénéfice est à la fois total (la vie éternelle) et sans obligation (quiconque croit) et, surtout, ce don est tout sauf absurde ! Le verset 17 nous précise les conséquences : le Fils n’est pas venu pour que le monde soit jugé mais sauvé.

Le salut, ici, n’est-il pas l’absence de dette ? Si nous suivons le « raisonnement » de Jean, le don que Dieu nous fait nous libère de tout, y compris de la position désagréable du débiteur face à son créancier. N’est-ce pas cela, le salut : recevoir tout sans être redevable de quoi que ce soit, être relevé par quelqu’un qui ne vous regarde pas de haut ?

Quant à ceux qui ne croient pas, le verset 18 annonce qu’ils se condamnent eux-mêmes : passer à côté d’un cadeau pareil, qui serait capable d’une telle ânerie ? Mais nous, bien sûr ! Nous qui incarnons si bien l’obscurité du prologue de ce même Evangile et qui savons si bien dire non à la gratuité quand elle se présente ; nous qui préférons le sang et l’absurdité, les sacrifices qui ne rachètent rien quand ils ne sont pas associés à l’amour. Car il n’y a que dans cette association qu’on cesse de compter pour savoir qui doit combien et à qui, comme le suggère Lamennais.

Pouvons-nous comprendre ces versets en laissant de côté notre tendance à compliquer les choses ? Est-ce si difficile que cela de gagner tout sans être redevable ? Devons-nous plutôt souhaiter le retour des sacrifices inutiles qu’il faut réitérer autant que possible, ne serait-ce pour essayer de nous rassurer ? Le salut qu’on nous tend n’est ni absurde, ni coûteux ni contraignant. Quand nous sommes jugés, c’est uniquement parce que nous sommes incapables de nous mettre, comme Jean, du côté de Dieu, dans le don total sans contrepartie.

Mais parfois, nous parvenons à quitter le règne de la quantité, le règne des choses qui ne dépendent que de nous et qu’on dénombre facilement, les choses qu’on comptabilise. Et c’est alors que nous sommes sauvés…

Didier Petit

 

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