Prédication du 26/07/2020

Prédication par Didier Petit.
Texte : Marc 9, 38-48
Marc 9, 38-48
Les disciples, après moult déambulations, ont fini par mettre la main sur des concurrents déloyaux qui prospectaient sur le même territoire qu’eux, mais sans autorisation préalable : l’affaire est grave ! On peut les comprendre, ces disciples, au moins en partie. Nous les surprenons en pleine inquiétude : « Si on commence à laisser faire, n’importe qui pourra venir ouvrir sa petite officine à 10 mètres de la nôtre ! »
En réalité, il ne s’agit pas d’une affaire de concurrence déloyale. Les disciples n’en sont pas à leur première ânerie. Ce sont eux qui déjà, il n’y a pas très longtemps, discutaient entre eux pour savoir qui était le plus grand. Le pouvoir, ça les démange !!! C’était cela, leur grande affaire.
Depuis la parole de Pierre déclarant à Jésus «Tu es le Christ », les disciples sont restés assez fermés à la souffrance humaine, ils ont été – la plupart du temps – incapables de dire une Parole qui guérisse. Derrière une belle confession de foi aussi pertinente que sincère, il y a toute leur impuissance à la traduire dans des actes concrets. Il leur est très difficile de changer de vie, de modifier leurs relations entre eux, avec les autres et avec Dieu.
Ils ont été incapables de libérer un enfant possédé, et les voilà quelques jours plus tard décidés à «empêcher un homme qui guérit au nom du Christ ». Il est dès lors très facile de comprendre pourquoi ils lui en veulent : il a réussi là où ils ont échoué et, en plus, il ne fait même pas partie de la bande… Double affront, double vexation !
Les disciples ressemblent un peu aux églises, fréquemment incapables de reconnaître le Christ à l’oeuvre en dehors d’elles. Dès le début de leur histoire, elles ont été très préoccupées de préciser leurs frontières et leurs privilèges. Il n’y a donc rien de bien nouveau dans l’échec cuisant des disciples qui pensaient sûrement que leurs petites formules leur donnaient un pouvoir quasi magique.
Au sujet de cet homme qu’ils veulent écarter, Jésus dit à ses disciples : «Ne l’empêchez pas, car il n’y a personne qui fasse un miracle en mon nom et puisse, aussitôt après, mal parler de moi. Celui qui n’est pas contre nous est pour nous » (9/39-40). Aucune Église ne peut contrôler la force de l’Evangile en actes, chacun doit se résoudre à n’en être qu’un modeste transmetteur, le monopole évangélique n’existe pas. Au fond, les disciples craignent surtout de perdre l’exclusivité et il est infiniment plus simple de crier à la concurrence déloyale que de reconnaître qu’on a peur d’être moins performant que ces concurrents…
Mais les disciples se sont approprié l’Eglise : ils ont cru pouvoir faire face à toute situation en se servant de Jésus comme d’un label, comme d’une lettre de recommandation éternellement valable. Si la réaction de Jésus est assez énergique, c’est peut-être parce qu’il est agacé par leur tentative de manipulation. Les disciples ont cru pouvoir se réclamer de leurs seules actions, de leur seule mission, en se coupant presque de celui qui les avait envoyés.
C’est une tentation généreuse mais aussi culpabilisante de faire dire à quelqu’un que son identité réside dans ses actions. « Vous êtes ce que vous faites. ». La tentation est dangereuse parce qu’elle renvoie à une autonomie illusoire, une sensation de sécurité surestimée. Croire que l’on peut indéfiniment faire face par soi-même, avec ses seules capacités, sa seule sagesse, avec ses propres dispositifs de sécurité, c’est prendre le risque d’affronter les puissances du monde sans la préparation nécessaire.
Prenant le « Vous êtes ce que vous faites. » à contre-pied, Jésus leur enseigne au contraire : « Vous faites ce que vous êtes. » Et ce que vous êtes, c’est moi qui vous le donne : « Ce genre de démon », avait répondu Jésus, « rien d’autre ne peut le faire sortir que la prière ». C’est dans notre relation personnelle à Dieu que réside l’enracinement de notre liberté et la force de notre action. Nous ne sommes pas ce que nous faisons (on ne peut jamais nous réduire à cela), nous faisons ce que nous sommes, et c’est Jésus qui en est l’origine. C’est une illusion dangereuse de croire que nous pouvons faire seuls, ce que seul le Christ peut faire en nous et par nous. Nous ne sommes pas lui, mais nous sommes pleinement nous-mêmes quand il est pleinement en nous et qu’il agit par nous.
« Nous l’avons empêché parce qu’il ne nous suivait pas. » L’Eglise est pourtant un événement qui peut surgir hors des institutions, là où nous ne l’attendons pas. Les disciples sont comme les Pharisiens face à l’homme qui avait une main dite sèche, ils ne voient pas un homme malade, ils ne voient que la violation du principe juridique du sabbat.
Première caractéristique de l’Eglise : Jésus n’appelle pas ses disciples pour constituer un groupe fermé sur lui-même, un petit huis clos aussi rassurant qu’étouffant. Il les invite à se mettre en route au service de l’Evangile, par leur parole et leur action. L’Eglise est un événement surgi d’une Parole, elle ne se définit pas par ceux qui en font partie, par ses limites et ses frontières, mais par l’écoute et la réception de la Parole de Dieu, et ensuite par ce que cette parole nous pousse à faire.
Notre exorciste non homologué représente typiquement cet événement inattendu dont les disciples ne savent pas quoi faire. Ce casse-pieds, cet électron libre fait avec les moyens du bord, et ça marche. Il voit la souffrance de l’homme possédé. L’Eglise est autre chose que ce que nous en savons et voyons. L’Eglise véritable est invisible et l’important est de savoir où se tient le Christ et si oui ou non nous marchons dans ses traces. L’Eglise est mise en œuvre par un événement qui est bien au-delà d’elle.
Ce qui donc est décisif, ce n’est pas d’appartenir à une institution, mais d’appartenir au Christ et d’être par nos vies personnelles renouvelées, les témoins d’un Dieu qui pardonne, qui fait la paix, et qui redonne un avenir, une identité neuve… Acceptons que de grandes choses se passent dans d’autres Eglises que la nôtre, dans d’autres confessions que la nôtre, dans d’autres religions que la nôtre…
Jésus ne laisse pas ses disciples à leurs considérations de personnes et d’appartenance. Il les unit à tous ceux qui se réclament de Lui. L’Eglise a aussi l’écoute pour vocation, même si elle est plus que perfectible, elle apparaît comme « l’attroupement des vulnérables », où chacun est parfois celui qui écoute et encourage les autres, et parfois celui dont la faiblesse appelle à l’aide.
Nous sommes fragiles, chacun et tous ensemble. L’Eglise, même fragile, est appelée à partager la Parole reçue, c’est-à-dire annoncer à ceux qui cherchent et qui désespèrent qu’il y a, à la suite du Christ, des repères pour vivre, des chemins multiples pour donner du sens à sa vie.
Nous pouvons partager et proposer clairement des convictions fermes et ouvertes à la fois, c’est-à-dire des paroles qui consolent, qui guérissent, qui aident à trouver du sens, qui fassent vivre. La proclamation par Jésus de la Bonne Nouvelle est inséparable de sa mise en œuvre par toute sa vie. La parole guérit, les guérisons parlent. L’Eglise est une communauté de guérison et d’espérance. Et c’est ce que nous sommes appelés à vivre tous ensemble. Voilà une grande et belle mission… dès que nous en avons fini avec l’angoisse de savoir qui est le plus grand, dès que nous en avons fini avec le souci de vérifier le label de celui qui ose une parole qui fait espérer et qui guérit.
Soyons un peu méfiants vis-à-vis de nous-mêmes : nous sommes assez souvent notre pire ennemi. Mais soyons surtout confiants : l’espérance surgit là où celui qui nous envoie en mission choisit de faire retentir sa parole.
Didier Petit