Prédication du 05/07/2020

Texte : Exode 3, 1-15

Prédication par Didier Petit

 

Exode 3, 1-15

Chapitre célébrissime que cet épisode du « Buisson Ardent », dont on pourrait isoler quelques versets seulement et y passer probablement la journée, voire même sa vie entière… Ce n’est pourtant pas ce que nous ferons, rassurez-vous, vous serez libres d’ici quelques minutes.

En relisant ce passage, je me suis dit que ce texte convenait très bien pour la saison. Un homme qui perd ses sandales de plage et manque finir prisonnier d’un incendie de forêt, ça ressemble plutôt à un fait divers estival un peu navrant. Mais, vous l’avez compris, ce texte a une tout autre portée…

Ici, c’est le style direct qui l’emporte, mais il ne faut pas oublier, en relisant ces lignes, que Dieu ne s’adresse jamais à nous de cette manière. Si parole il y a, c’est toujours une parole indirecte qui nous atteint après de nombreux ricochets, d’innombrables rebonds. Il n’est d’ailleurs pas toujours nécessaire qu’il y ait parole pour se savoir dans un instant révélateur.

Nous n’avons pourtant pas tellement changé depuis Moïse, nous rêvons peut-être encore que cette parole soit directe, nous aimerions bien un face-à-face, les yeux dans les yeux, que les choses soient claires, une bonne fois… Le problème avec une parole claire, c’est qu’elle est souvent péremptoire, assénée à l’impératif, et ne supporte aucune discussion, aucune objection. Ici, au contraire, Dieu parle et il se passe beaucoup de choses, même s’il choisit de se faire remarquer de façon visuelle. Il laisse à voir avant de laisser à entendre.

Aujourd’hui, nous avons évidemment plus de mal à nous laisser impressionner, notre monde désenchanté ne contient plus ces images et ses mots qui parlent directement, face à face. Il nous faut donc garder la capacité d’étonnement de Moïse malgré notre quasi-inaptitude aux miracles. Car s’il est dangereux de faire face à une parole tellement claire qu’elle en est péremptoire, il est tout aussi dangereux de cesser de se poser des questions, dangereux de ne pas reconnaître ses limites. Moïse, de son côté, garde cette fraîcheur devant l’inattendu, l’instant révélateur est là, la parole prend le relai de l’image, il n’y a plus qu’à tendre l’oreille à ce Dieu qui parle et qui le convoque.

Mais que signifie cette phrase étrange : « Ôte tes sandales de tes pieds, car le lieu où tu te tiens est une terre sacrée ? » La phrase résonne davantage comme une mise en garde que comme une invitation courtoise. A moins qu’il ne s’agisse d’une manière d’avertir Moïse : « Ici, tu n’es pas en terrain conquis, tu n’es pas chez toi, tu es mon invité ! Puis, passé un moment de surprise, tu comprendras que tu es appelé à connaître des voies nouvelles. » Et effectivement, au moment où il s’approche de la montagne, Moïse est un néophyte qui ne sait rien du Dieu qui lui parle. Arraché du terreau de son peuple d’origine dès l’enfance, il a reçu une éducation totalement différente de celle qu’il aurait dû recevoir. Et c’est pourtant à cet homme que Dieu va décider de se révéler, ce qui en dit long sur la manière dont Dieu se montre tout en restant caché.

Pourquoi Moïse se voit-il privé de la possibilité d’être face à un Dieu familier, SON Dieu, ou à défaut l’idée qu’IL s’en fait ? Pourquoi le ramener à une filiation lointaine, à un peuple qu’il a quitté depuis si longtemps ? Le pari que Dieu fait ici d’intéresser un presqu’étranger à l’histoire de ce peuple n’est-il pas extrêmement risqué ? Mais, au fond, a-t-on jamais pu se faire une idée un tant soit peu familière de ce Dieu qui ne se laisse pas regarder, sans recourir à chaque fois à ce que d’autres nous en ont dit ? N’est-on pas contraint de se contenter de cela ? N’est-ce pas la longue suite de ricochets et de rebonds que j’évoquais un peu plus tôt ?

L’épisode du buisson ardent pourrait mettre Moïse dans une position privilégiée : le caractère extraordinaire de ce mode de révélation devrait suffire à le distinguer et lui donner un accès direct à un Dieu-rien-qu’à-lui ! Il n’en est rien : il est ramené au Dieu de ceux qui l’ont précédé. La révélation est une transmission, une tradition qui passe, comme un fil rouge, d’un individu à l’autre, d’une génération à l’autre.

Mais Dieu ne choisit pas seulement la solitude d’un face à face en haut d’une montagne pour intervenir dans le monde : il se soucie avant tout de la situation invivable du peuple qu’il s’est choisi. On aurait pu s’attendre à une transmission enfin directe à ce moment-là : le messager est choisi, il a répondu à la convocation en se laissant détourner de sa route, il ne reste plus qu’à envoyer le message, une doctrine, une vision du monde et une morale pour s’y mouvoir sans trop de difficultés. Pas du tout ! Dieu n’est pas dans un discours, ni dans une formule sensée garantir une « vie bonne », mais plutôt dans le flux des événements qui forment notre quotidien, et au cœur de ces événements, dans ce qui est surprenant et contingent. Comme si Dieu se glissait entre les brèches du réel… Comme s’il nous demandait, de la même manière, de trouver notre vérité non dans la répétition du connu et du maîtrisé, mais dans la capacité à trouver des possibles là où d’autres ne trouvent rien.

Pour résumer, donc, nous avons vu que le début de ce chapitre montre à la fois le caractère et la « méthode » de Dieu face à Moïse : la révélation se fait par la transmission de l’expérience faite par ceux qui nous précèdent ; mais elle est aussi dans les accidents de l’histoire de ceux que Dieu s’est choisis. C’est dans cet énorme matériau qu’il faut chercher de quoi poser les questions qui nous concernent dans le monde d’aujourd’hui.

Mais Dieu trouve encore une autre brèche : il se présente lui-même, en personne ! On le tient, finalement, notre entretien face à face ! Oui enfin, pas tout à fait, quand même. La réponse que Dieu donne à Moïse est assez surprenante : « Je serai qui je serai ! » L’expression hébraïque est assez compliquée à traduire, on a beau la tourner dans tous les sens, le « rendu » n’est jamais tout à fait satisfaisant. En tout cas, il est possible de la traduire par un futur aussi bien que par un présent. C’est la « tonalité » de la réponse qui frappe également : l’impression laissée est celle d’une réponse expédiée pour faire lâcher prise à un importun. Mais pourquoi faire tant de mystère quand on souhaite se rendre visible et audible ?

En réalité, il n’y a pas ici de volonté de mystère, mais une manière radicale d’orienter vers l’avenir d’un peuple en détresse un messager pas tout à fait certain de faire l’affaire. C’est bien par la transmission que nous rencontrons ce Dieu qui nous précède – à travers ce que nos prédécesseurs en disent – mais c’est surtout vers un avenir fait de liberté qu’il veut nous emmener : un pays et une descendance, pas forcément un royaume parfait mais en tout cas un endroit pour vivre. La même promesse qu’à Abraham. Nous ne sommes donc pas invités à rejoindre un passé magnifié : les Pères fondateurs ne sont là que pour montrer l’origine du fil rouge qui passe par nous et qui nous survivra. C’est l’avenir du peuple que Dieu se choisit qui importe et justifie son intervention au cœur de notre Histoire et de nos histoires.

Pas question, donc, d’être enfermé par quoi que ce soit, ni par le poids du passé, ni par l’incertitude d’un futur rêvé et poursuivi fébrilement mais sans préparation. Dieu assigne bien une mission précise à Moïse, la même encore une fois que celle d’Abraham : une terre et une descendance. Pour Moïse, la descendance est déjà là, il l’incarnera et l’encadrera sa vie durant. La feuille de route : la liberté d’abord ; ensuite viendront les prescriptions, les lois, le territoire. Sans confondre une liberté assumée et responsable avec un nomadisme sans but, nous qui sommes à l’image de Dieu avons pour projet d’imiter la liberté de Dieu même. Une liberté constamment entretenue, voulue ou restaurée nous fait éprouver notre vraie nature qui est, au fond et par excellence, celle de Dieu.

C’est probablement là que nous voyons le mieux le salut par grâce dans les versets que nous venons de lire. La dignité (ou la nature) humaine n’est pas quelque chose qu’il faut rechercher ailleurs après avoir changé de nature ; notre dignité et notre vocation sont déjà là, quelque part en nous, et une convocation (ou une vocation) divine suffit à nous la révéler, pour agir ensuite en conséquence. Le don est déjà fait, il ne reste plus qu’à valoriser ce don. La grâce, pour Moïse, c’est un cadeau exploité jusqu’à la liberté et non pas un manque angoissant qui pousse à une errance perpétuelle.

Voilà pourquoi Dieu se révèle à Moïse de cette manière : pour faire irruption dans sa vie par le long fil rouge qui traverse chacun, et l’aider à trouver sa raison d’être dans une liberté reçue et voulue pour les autres.

Comment alors, accorder sa confiance en un Dieu qui se cache et qui se « balade » entre l’immuable et le mouvement ? Peut-être que nous sommes ici invités à nous contenter de cet entre-deux, comme les deux bornes frontières d’un territoire où nous serons partout chez nous, peu importe où exactement. L’essentiel, et c’est ce que comprend Moïse, est dans la quête de liberté et de vérité, pour soi et pour tous ceux qui en manquent. Se libérer et vouloir pour autrui la liberté, c’est suivre le mouvement initié par ce Dieu qui se révèle en restant caché.

Didier Petit

 

 

 

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