Demain, trouver notre étoile ?

Une réflexion autour de Jean 9, 1-41 – La guérison de l’aveugle-né, offerte par notre futur pasteur Didier Petit.

« Les choses profondes sont toujours préparées et enveloppées par une certaine obscurité : les étoiles n’apparaissent que dans la nuit. » (L’échelle de Jacob, Gustave Thibon)

« Patauger, quelquefois, c’est aussi faire bondir deux ou trois gouttes de lumière. » (Les propos sur l’intelligence, Paul Valéry)

Rien n’aura été épargné à ce pauvre homme : être privé de la vue dès sa naissance n’était pas un malheur suffisant, il fallait aussi y ajouter le défilé des « gens bien intentionnés », tellement pressés de trouver de bonnes raisons au malheur du monde. Voilà bien le démon de l’explication : trouver une cause à toute chose, surtout si cela permet d’enfermer un infirme dans une singularité dont on se sent heureusement exclu. Aux dépens de la vérité ou de la lucidité… Tout commence par une question étrange des disciples : « Qui a péché, pour qu’il soit aveugle-né ? Lui ou ses parents ? ». Cette explication du malheur par un défaut spirituel peut bien paraître loin de nous, le besoin d’avoir une explication – même idiote – plutôt que pas d’explication du tout, reste un besoin bien ancré en nous. Mais la question du début n’est pas une question, c’est une explication usuelle, une affirmation destinée à rassurer, qu’on affuble tardivement d’un point d’interrogation, pour faire croire que…

Jésus balaie d’un revers de main cette question qui n’en est pas une : il ne s’agit pas de cécité, mais d’aveuglement. La cécité n’est qu’une incapacité physique qui nous plonge dans l’obscurité, quels que soient par ailleurs l’éclat et la santé de notre lumière intérieure ; l’aveuglement est un repli sur de très petites lumières qui se prennent pour un soleil et qui nous font croire que l’obscurité est au-dehors ! Tout, dans ce texte, semble nous renvoyer au combat rude et incertain qui se déroule au-dedans, combat nécessaire auquel nous substituons pourtant, par souci de confort, une hostilité extérieure et fantasmée.

La suite du chapitre montre bien ce défilé des factions hostiles par lâcheté, scandalisées par l’obscurité innée d’un d’autre qui trouve pourtant sa guérison, alors qu’elles sont incapables de diagnostiquer leur propre aveuglement.

Seule l’intervention des parents relève le niveau de clairvoyance et de lucidité : ceux qui l’ont mis au monde et qui l’aiment sont les seuls à le proclamer « assez grand » pour s’expliquer lui-même, les seuls à ne pas parler à sa place, les seuls à croire qu’il a assez de lumière en lui pour nous éclairer tous ! Ce texte fait bien écho au prologue du même Évangile : « La lumière est venue dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas accueillie. » C’est la coexistence en nous de deux tendances : la non-reconnaissance de notre propre obscurité et l’aptitude à trouver en soi suffisamment de lumière pour guérir de notre aveuglement.

En crachant dans la paume de sa main – un geste thérapeutique très banal – Jésus apporte les premières gouttes d’eau d’un baptême qui se prolongera dans la piscine de Siloé, un mot qui signifie « L’envoyé ». Seuls ceux qui attendent la lumière – qui est lucidité et vérité – la reçoivent le moment venu, car ils savent que c’est pour eux qu’elle a été envoyée.

De son côté, cet aveugle-né s’est bien « battu » : il a pataugé dans cette eau et, comme le suggère Paul Valéry, il a « fait surgir quelques gouttes de lumière ». Dans la nouvelle vie qui l’attend, les mots de Gustave Thibon sont comme un nouveau viatique : « Les choses profondes sont toujours préparées et enveloppées par une certaine obscurité : les étoiles n’apparaissent que dans la nuit. » Au fond de sa nuit provisoire, il a travaillé sans relâche, et il a trouvé son étoile.

Commençons-nous à envisager, par la rencontre avec cet aveugle-né, l’ascèse qui nous attend ? Nous fait-il entrevoir cette vie faite d’exercice, la possibilité que chacun d’entre nous trouve son étoile ?

Notre monde dans l’épreuve saura-t-il diagnostiquer sa propre obscurité pour accueillir la lumière qu’on lui envoie, sans dire constamment : « l’obscurité, c’est les autres » ? Il faut le souhaiter. Notre vie continuera après ce qui nous atteint en ce moment, mais devra-t-elle se poursuivre comme avant ? Notre époque troublée n’est-elle pas en train de faire l’expérience que « les choses profondes sont toujours enveloppées d’une certaine obscurité » ?

Quelle étoile de lucidité et de vérité apparaîtra dans notre nuit finissante pour faire venir au monde un monde renouvelé et capable de dire : « J’étais aveugle, et maintenant, je vois » ?

Pasteur Didier Petit

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