Culte de Pâques 2020 en visioconférence

Prédication par le pasteur Philippe Kabongo M’Baya

Texte : Évangile de Jean 10, 19 à 28

19 Le soir de ce même jour qui était le premier de la semaine, alors que, par crainte des autorités juives, les portes de la maison où se trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu d’eux et il leur dit : « La paix soit avec vous. »

20 Tout en parlant, il leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent tout à la joie.

21 Alors, à nouveau, Jésus leur dit : « La paix soit avec vous. Comme le Père m’a envoyé, à mon tour je vous envoie. »

22 Ayant ainsi parlé, il souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint ;

23 ceux à qui vous remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. »

24 Cependant Thomas, l’un des Douze, celui qu’on appelle Didyme, n’était pas avec eux lorsque Jésus vint.

25 Les autres disciples lui dirent donc : « Nous avons vu le Seigneur ! » Mais il leur répondit : « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n’enfonce pas mon doigt à la place des clous et si je n’enfonce pas ma main dans son côté, je ne croirai pas ! »

26 Or huit jours plus tard, les disciples étaient à nouveau réunis dans la maison, et Thomas était avec eux. Jésus vint, toutes portes verrouillées, il se tint au milieu d’eux et leur dit : « La paix soit avec vous. »

27 Ensuite il dit à Thomas : « Avance ton doigt ici et regarde mes mains ; avance ta main et enfonce-la dans mon côté, cesse d’être incrédule et deviens un homme de foi. »

28 Thomas lui répondit : « Mon Seigneur et mon Dieu. »


Frères et sœurs, chers amis,

J’aurais pu proposer une méditation sur le texte de Marc 16, 1-8, qui nous parle de la traversée de l’aube après la nuit de sabbat. Puisque ces derniers jours, la terre entière a été plongée dans une épaisse nuit et le sentiment jamais éprouvé à ce point par tant d’humains, méditons ce qui arrive à Didyme. C’est de lui et de nous, en effet, qu’il est question ce dimanche 12 avril 2020. Comme en Marc 16, il y a ici un déplacement. C’est l’apparition de Jésus aux disciples en présence de Thomas. Le didyme, l’homme double ! Lui qui s’était barricadé derrière un scepticisme solennel, jurant à ses frères ses conditions pour croire comme eux à la résurrection de Jésus. « Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je n‘enfonce pas mon doigt…, si je n’enfonce pas ma main dans son côté… » Thomas, est l’homme de « Si », Monsieur ou Madame « Sous réserve ». Il est de bonne foi. Il veut y croire, moyennant des préalables bien posés.

Une première question : si Thomas est le jumeau de son frère de naissance, n’est-il pas aussi, un peu, frère de tout·e un·e chacun·e ? Que pourrait signifier pour nous être comme Thomas, ne croire que ce que l’on voit ? La vie est-elle affaire de croire ou d’abord celle de connaître ? Et qu’est-ce qui est engagé par chacun de ces deux verbes, par l’une et l’autre conduite induites ?

N’est-ce pas la confiance pour l’un·e (croire), la maîtrise pour l’autre (connaître) ? Les deux attitudes sont-elles irréductibles ? Pour chaque chose dans la vie, il faut commencer par le commencement ; et le commencement de tout est le courage. Il conditionne la manière de se tenir dans la vie comme en face de la mort.

De qui sommes-nous le « Double » ? Allons-nous nous relever du cauchemar planétaire dans lequel COVID 19 nous a plongés ? La sécurité sanitaire, proche de zéro, le ravitaillement et la consommation incertains, la sociabilité réduite à rien, l’économie dans le coma, les grandes réformes et échéanciers politiques hypothéqués, etc. Dans cette éclipse de certitudes, la peur elle-même est devenue virale. Avant que l’on ne nous assigne à résidence, l’angoisse nous avait déjà calfeutrés dans un confinement impropre à la joie même de vivre !

Une deuxième question : au fond, à quoi renvoie le désir de vérification qui anime Thomas ? Le récit est certes tendu vers une belle confession de foi, « mon Seigneur et mon Dieu », qui vient sublimer les « si » ; qui fait passer Thomas d’un disciple « sous réserve » à un témoin sans réserve ! Pourquoi ?

Parce que dans le texte, Didyme tenait fermement à un Jésus tel qu’il l’avait vu à Golgotha et non au Christ tel qu’il se donne là. « Si je n’enfonce pas mon doigt… si je n’enfonce pas ma main… » Donc, aux mêmes points corporels jadis impactés par les bourreaux !

Le plan de Thomas n’était pas une simple recherche de preuves, mais leur vérification physique au toucher. Dans cette mesure, Didyme réactualise inconsciemment la Passion dans toute sa cruauté puisqu’il entend enfoncer son doigt dans les marques des clous et sa main dans le côté (là où la lance avait percé). Cette volonté de validation par une expérience personnelle ne recèle-t-elle pas quelque chose de malsain ? Quand on sait que le même ressuscité avait dit à Marie : « Ne me touche pas », on se trouve cette fois-ci devant quelque chose de choquant !

Pourtant, Christ lui dit : « Avance ton doigt… avance ta main et enfonce-la… ». C’est seulement en s’assumant comme le « crucifié » que le ressuscité libère Thomas de son double. « […] cesse d’être incrédule et deviens homme de foi. » Dans ce lieu où les disciples, une fois encore, s’étaient enfermés, tout a basculé. Ailleurs, l’apôtre Paul le soutiendra fermement : je ne vais rien savoir, rien prêcher d’autre, que le Christ crucifié (I Corinthien 2, 2). Quel paradoxe ! Toute la vérité de Pâques se tient en ce paradoxe. La résurrection n’est pas un symbole. Elle n’est bardée d’aucun « corps céleste » intimidant de majesté. Elle est incarnée dans l’ordinaire de nos blessures, échecs et souffrances. Elle s’y faufile comme une traversée de l’impossible, imperceptiblement.

Dans toutes nos détresses, dans tous nos confinements, l’inespéré, c’est quand, malgré la nuit et la peur, nous pouvons être au bénéfice d’une plus grande clarté. Pour nous et pour le monde.

Philippe B. Kabongo-Mbaya

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