Prédication archivée du 25/04/2010
Prédication par Henri Persoz
Texte : Romains VI 1-14
Lorsque je visite les belles églises de notre douce France, je suis parfois un peu effaré par cette culture de mort et de sang qui se dégage de ces lieux. Nous voyons des crucifixions partout, des martyrs sanguinolents sortant de tableaux poussiéreux, des saints décapités, des ossements dans les chapelles latérales. Et je pense à cette phrase des évangiles synoptiques « Dieu n’est pas le Dieu des morts mais des vivants ».
Il est vrai que la mort est le problème de l’homme et que la religion chrétienne a beaucoup centré sa théologie sur la glorification de la mort, entrainée qu’elle était par les lettres de saint Paul qui écrit par exemple dans sa première aux Corinthiens : « J’ai décidé de ne rien savoir parmi vous, sinon Jésus Christ et Jésus Christ crucifié ». Mais qui écrit aussi ce chapitre 6 de sa lettre aux Romains et dont nous venons de lire le début. Ce n’est pas un hasard d’ailleurs si le symbole de la religion chrétienne est une croix, avec si possible un Jésus mort au milieu, pour bien montrer que là est la vérité essentielle. Cette mort sur la croix est censée sauver le monde, suivant une logique un peu difficile à suivre, en tout cas pour moi. Les évangiles ne se sont pas tenus à l’écart de cette culture de mort. Et on a dit que le premier évangile, celui de Marc, était une histoire de la passion, précédée d’une introduction détaillée.
Le chapitre 6 de l’épitre au Romains, nous apporte quelques explications sur le rôle de la mort pendant que nous vivons. Et à mon avis, elles sont compréhensibles, bien qu’un peu encombrées par l’omniprésence du péché qui est cité 10 fois en 14 versets. Tout commence donc par le baptême qui est pour l’apôtre une mort avec le Christ, par ensevelissement sous l’eau : « par le baptême, en sa mort, nous avons été ensevelis » (v.4).
Christ est mort, mais étant baptisés, nous sommes ensevelis avec lui. « Nous avons été totalement unis, assimilés à sa mort », explique le verset 5. Donc, pour l’apôtre Paul, le début de la vie chrétienne, le baptême, est une mort avec le Christ.
Mais comment peut-on commencer la vie chrétienne par mourir ? Nous comprendrions mieux si nous parlions d’un cheminement spirituel qui conduit à se considérer comme anéantis, à n’être plus rien, à renoncer à tout, à renoncer à être quelqu’un, à valoir quelque chose, à renoncer à être indispensable au monde, à notre entourage, à notre famille, à notre paroisse. Cheminement qui conduit à se retrouver les mains et la tête vides, sans plus de prétentions que d’accepter de passer sous terre, dans la faiblesse et l’humilité, à l’image de ce Jésus qui monta sur la croix dans de telles dispositions. Mort de notre égoïsme, de notre moi qui prend tellement de place pour nous. Il s’agirait donc d’une démarche d’humilité conduite par l’esprit et par le cœur. Il s’agirait d’une façon nouvelle de vivre. Puisque l’apôtre poursuit : « Si nous avons été totalement assimilés à sa mort, nous le serons aussi à sa résurrection, pour mener une vie nouvelle, une vie pour Dieu ». Et un peu plus loin, passant du nous au vous : « Vous êtes comme des vivants revenus d’entre les morts. Mettez-vous donc au service de Dieu, avec vos membres comme armes de la justice. »
N’étant plus préoccupés de nous-mêmes, puisque nous revenons de la mort, toute cette vie qui s’ouvre devant nous est un supplément inattendu qui nous est donné, une grâce, un sursis que nous n’attendions pas et qu’il faut utiliser du mieux que nous pouvons, puisqu’il n’était pas prévu dans notre programme. C’est ainsi que le pasteur Antoine Nouis, dans son « catéchisme protestant », écrit : « La croix nous dit qu’il faut mourir pour vivre. Sinon, on meurt de ne pas mourir ».
Ceux d’entre nous qui ont cru, à un moment ou à un autre de leur existence, qu’ils allaient mourir prochainement comprennent peut-être plus facilement cette tirade de l’apôtre. Lorsqu’une rallonge s’ouvre miraculeusement devant nous, l’envie vous prend de rendre grâce pour ce don d’un supplément de vie et d’essayer de le mieux vivre pour Dieu.
Dans un « Réforme » du début du mois de Mars, en dernière page, un Espagnol, émigré aux États-Unis, raconte son histoire. Ayant eu une belle situation là-bas, il ne pensait plus qu’aux belles voitures, à l’argent et aux choses matérielles. Par suite d’une erreur judiciaire, il fut condamné à mort pour un crime qu’il n’avait pas commis. Quatre ans de prison dans les couloirs de la mort en Floride. Il a souvent cru que son dernier jour était arrivé. Mais grâce à l’ACAT – Bravo l’ACAT – , à Amnesty International, l’erreur judiciaire fut découverte et lui, libéré. Et voici ce qu’il écrit : « Les couloirs de la mort m’ont réveillé. Je me suis aperçu qu’en fait je n’étais pas vraiment vivant. J’ai complètement changé mes valeurs. S’il n’y avait pas eu les couloirs de la mort, je ne serais pas vivant aujourd’hui. »
Expérience de l’extrême qui éclaire bien les propos de Paul. Et aussi le rôle du péché dont il parle tant. Cette mort psychologique est un anéantissement du moi et une façon de régler son compte au péché qui est fondamentalement lié à l’égoïsme, au fait de trop se considérer, de trop se donner d’importance. Plus d’égoïsme, plus de péché. C’est pourquoi l’apôtre peut écrire : « Notre vieil homme a été crucifié avec le Christ pour que soit détruit ce corps de péché et qu’ainsi nous ne soyons plus esclave du péché. Car celui qui est mort est libéré du péché ». Voilà la bonne recette : si nous voulons être libérés du péché, il nous faut mourir. Non pas mourir « pour de vrai » comme disent mes petits-enfants, mais mourir avec Christ, renoncer à nous-mêmes comme il a renoncé à lui-même.
Saint Paul distingue ainsi le vieil homme, empêtré dans le péché, qui est mort, et l’homme nouveau, assimilé à la résurrection du Christ, qui entre dans une vie nouvelle : « Considérez que vous êtes morts au péché et vivant pour Dieu », précise-t-il.
Il n’y a plus qu’un petit problème : sommes-nous vraiment morts au péché ? Cet exercice de mort spirituelle, se fait-il une fois dans la vie, lors du baptême. Ou faut-il le recommencer à chaque fois que nécessaire, c’est-à-dire un peu tous les jours ? Nous ne serons vraiment débarrassés du péché que lorsque nous serons vraiment morts. C’est d’ailleurs bien ce que dit l’apôtre (v 7) : « Celui qui est mort est libéré du péché ».
Et il reconnaît bien la difficulté du problème car il écrit plus loin au chapitre 7 (v 15) : « Je ne comprends rien à ce que je fais : ce que je veux je ne le fais pas, mais ce que je hais je le fais. …. Ce n’est donc pas moi qui agis ainsi mais le péché qui habite en moi…. Vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir puisque le bien que je veux je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas je le fais….. Malheureux homme que je suis. Qui me délivrera de ce corps qui appartient à la mort ? … me voilà serviteur par l’intelligence de la loi de Dieu et par la chair de la loi du péché ». Dans le vocabulaire paulinien, il ne faut pas entendre par chair, ce qui a rapport au corps, mais ce qui a rapport aux mauvais penchants de l’homme.
L’apôtre est quand-même sympathique. Lui qui a une assez haute idée de lui-même, il se confesse ici devant toute l’Église de Rome qu’il ne connaît pas. Et il reconnaît qu’on ne se débarrasse pas facilement du péché et qu’en lui-même se livre un conflit intérieur. L’homme est divisé contre lui-même, tiraillé entre d’un côté la raison qui l’incite à suivre la loi de Dieu, la loi de l’amour du prochain, et de l’autre côté le désir, la convoitise, l’égoïsme, qui l’invitent à se préoccuper de l’amour de lui-même. Et la faiblesse, le manque de volonté ne permet pas toujours de faire les bons choix.
L’apôtre Paul parait vraiment embarrassé et pendant plusieurs chapitres tient des raisonnements compliqués dont je vous fais grâce et dont je fais grâce à moi-même car j’ai du mal à suivre. C’est au chapitre 12 que l’horizon s’éclaircit. La mort du chrétien prend la forme d’un sacrifice vivant pour Dieu. Une sorte d’offrande de sa vie pour la donner à la communauté. Suit une collection de recommandations dont je ne vous rappelle que quelques unes. Soyez assez raisonnables pour n’être pas prétentieux. Rivalisez d’estime réciproque. Soyez solidaires de ceux qui sont dans le besoin. Exercez l’hospitalité avec empressement. Bénissez ceux qui vous persécutent. Ne rendez à personne le mal pour le mal. Ayez à cœur de faire le bien devant tous les hommes.
Pendant ces quatre longs chapitres de la fin de l’épître où l’apôtre développe ses recommandations de respect et de compassion vis-à vis des autres, il ne parle plus du péché. Il semble que ce ne soit plus une grande inquiétude pour lui.
Son remède n’est-il pas le bon, frères et sœurs ? Occupons-nous avec humilité et sans prétention de tout ce qui ne va pas bien autour de nous, soyons solidaires de ceux qui sont dans le besoin. Et nous n’aurons plus de temps pour souffrir de ce péché qui prend tant de place, et même trop de place, dans la pensée chrétienne.
AMEN !
Henri Persoz