Prédication du 25/02/2018
Prédication par Henri Persoz
Textes : Jean V 1-13, Exode XX 08-11, Deutéronome II 13-14 et V 12-15
Version audio
Lettre de Rousseau à Christophe de Beaumont
Version texte
Exode 20,8-11
Deutéronome 2,14 et 5,12-1
Lève-toi et marche
Jean 5,1-13
Nous voici, une fois de plus dans une histoire qui accuse Jésus d’accomplir une bonne action et même un sauvetage, un jour de sabbat. Cette accusation est un peu lancinante, au long des quatre évangiles. Nous la retrouvons dans six occasions différentes : en dehors de celle-ci, la guérison de l’aveugle de naissance, également dans l’évangile de Jean, la guérison de l’homme à la main paralysée dans les trois synoptiques ; aussi dans ces évangiles, les épis arrachés un jour de sabbat. Et puis la guérison d’une femme infirme et d’un hydropique dans l’évangile de Luc.
Ceci nous donne une idée, à la fois de l’importance que pouvait revêtir cette question du respect du sabbat au temps de Jésus, mais aussi des dissensions et conflits que pouvait susciter le comportement à tenir ces jours-là.
Je voudrais donc regarder avec vous cette question de plus près, pour mieux comprendre quels sont les enjeux et pourquoi, semble-t-il, l’entente paraissait difficile entre les Pharisiens et Jésus, bien que ce dernier soit issu d’un milieu culturel pas trop éloigné du milieu pharisien.
Nous avons du mal à comprendre ce respect du sabbat, mais nous devons réaliser que, dans le judaïsme, chaque geste préconisé par la loi, chaque comportement, est un rappel de l’histoire sainte, une manière de la faire revenir à la surface de la conscience, une manière de la vivre à nouveau. Et cette histoire sainte est le fondement de la religion d’Israël. Yahvé est le Dieu de l’histoire. Le fils d’Israël qui accomplit les commandements de la loi revit l’histoire de son peuple.
Comme nous l’ont montré les textes bibliques lus tout à l’heure, le sabbat commémore deux événements, deux mythes fondateurs : le repos de Dieu au septième jour de la création, et la libération de l’Égypte. Ce repos de Dieu n’est qu’une image empruntée à la condition humaine. Car Dieu n’est pas un salarié, ni même une personne, il n’a pas besoin du repos hebdomadaire. Il ne fatigue pas.
Ce repos symbolise une sorte de retrait du monde. Dieu ne se sent plus indispensable, il ne veut plus intervenir. Par cette image, la Genèse veut signifier que les hommes ont maintenant la responsabilité de conduire le monde. Aux humains maintenant de travailler et de parfaire la création, Dieu s’est mis en congé. Il a assez fait et tout ce qu’il a fait était bon, nous dit bien le Livre.
De façon comparable, le fils d’Israël qui respecte le sabbat fait un acte de désengagement. Il n’a plus la volonté de vouloir agir ce jour-là sur la marche du monde et il se retire dans une vie intérieure, loin de l’agitation du dehors.
Le sabbat est un temps mis à part pour Dieu, un temps de méditation intérieure, de prière, d’édification spirituelle ; un temps où toutes les urgences du travail sont stoppées pour pouvoir se recentrer sur l’essentiel, se détendre, rencontrer sa famille, ses amis, ses proches, son Dieu. Une sorte de vie plus authentique, un temps béni et baigné de lumière, que les croyants n’auraient pas s’ils n’y étaient pas fortement incités par l’obligation de la loi. Et j’avoue que par moments je regrette de ne pas être interdit de travailler le dimanche. Pendant le sabbat, il ne faut donc pas s’activer, ne pas faire la cuisine ni le ménage, ne pas s’occuper de son champ, de son bétail qui lui aussi doit se reposer.
Le sabbat commémore aussi, d’après le Deutéronome, la libération du joug égyptien. Ce jour-là doit être liberté pour le peuple qui peut se tourner vers son avenir. La maison des fils d’Israël doit être une maison de liberté, ouverte aux étrangers qui veulent venir s’y réfugier.
Du temps de Jésus, comme aujourd’hui, certains trouvaient l’application de cette loi contraignante, fatigante, culpabilisante, allant à l’encontre justement de la liberté, et du souci de l’autre, ne servant pas toujours à rendre le croyant plus proche de Dieu.
Car si l’on reçoit des amis, il faut bien leur offrir quelque chose à manger. Si un enfant est malade, il faut bien le soigner, lui préparer une tisane. D’où le développement d’une importante casuistique, pour déterminer ce qui est licite et ce qui n’est pas licite d’entreprendre à sabbat. Évidemment, tout le monde n’est pas d’accord, ce qui engendre des controverses interminables, même au sein de l’école pharisienne. Les quatre évangiles prennent nettement partie, qui nous font comprendre que la bonne santé des humains, leur guérison doivent être la préoccupation principale des croyants, passant avant le retrait du monde pour mieux se rapprocher de Dieu, même les jours de Sabbat. Et l’apôtre Paul est d’un avis comparable lorsqu’il écrit aux Galates que l’amour du prochain est bien plus efficace que la loi.
Selon les évangiles, et nous observons une bonne concordance sur ce point, Jésus s’active beaucoup les jours du Sabbat, allant parfois jusqu’à la provocation, et cela ne doit pas être un hasard. Il faut bien reconnaitre que, parmi les dix commandements, le respect du sabbat est l’un des moins impératifs, des moins contraires à l’éthique, à la morale. Il ne s’impose pas autant que l’impératif de ne pas tuer, ou de ne pas voler, ou de ne pas commettre d’adultère. Jésus invite donc à l’intelligence de la loi, à relativiser, à réfléchir. À ne pas sacraliser la loi. Seul Dieu est sacré disent les protestants et comme dit Jésus dans les évangiles : « Le sabbat a été fait pour l’homme et non l’homme pour le sabbat »
Jésus s’obstine donc à guérir les jours de sabbat, et ce faisant, il le désacralise. Beaucoup de traditions humaines, y compris dans la pratique religieuse, finissent par être sacralisées et deviennent donc inamovibles, intouchables, alors qu’on en a oublié les raisons perdues dans la nuit des temps. Le christianisme en a aussi son compte. Jésus nous invite à sortir de la tradition, lorsqu’elle n’est plus utile et qu’elle empêche la compassion, en fournissant de bons prétextes pour se retirer chez soi.
Cet homme, au bord de la piscine de Bezatha, paralysé et couché depuis 38 ans, est encore enfermé dans la tradition et dans une certaine superstition. Il ne peut guérir que si l’eau s’agite et si quelqu’un le prend et le plonge dans l’eau et s’il est le premier arrivé dans l’eau Mais qu’est-ce donc que toute cette mise en scène, subsistance du paganisme? Veut-il vraiment guérir ? Ne s’est-il pas résigné à son état depuis 38 ans qu’il est paralysé? Les nombres dans la Bible ne sont jamais donnés au hasard, mais revêtent une signification symbolique. 38 comme je vous l’ai lu, c’est le nombre d’années que le peuple hébreu pendant l’exode resta à Quadesh-Barnéa, aux portes et au sud du pays de Canaan, parce qu’il avait manqué de foi et avait eu peur d’affronter les Cananéens.
D’après la Bible, le peuple traversa le désert du Sinaï en 2 ans, puis resta aux portes de la terre promise pendant 38 ans, à faire du sur-place, après plusieurs tentatives infructueuses d’entrer en Canaan.
Au bout de 38 ans, quand tous ceux qui avaient quitté l’Égypte étaient morts, le peuple put enfin s’installer en Canaan et connaitre la liberté dans ce pays ou ruisselaient le lait et le miel. Ce clin d’œil au manque de foi du peuple hébreu accrédite la thèse suivant laquelle le paralytique faisait du sur-place aux portes, non pas de Canaan, mais de la piscine, par manque de foi et de courage et sans doute il n’était pas vraiment paralysé. Jésus l’a bien compris et lui demande : veux-tu vraiment guérir ? Et il ne répond pas, se réfugie dans le défaitisme et la superstition : « Personne ne me plonge au bon moment dans l’eau ». Pourquoi revient-il alors ? Toute cette histoire d’eau qui s’agite n’est-elle pas une bonne raison pour rester couché ? Comme le sabbat pourrait être une bonne raison certains jours pour ne pas sortir de chez soi et ne pas être attentif à l’appel des hommes. Alors que le paralytique base son comportement sur des pratiques plus ou moins héritées du paganisme, Jésus, lui, pose la vraie question : veux-tu vraiment guérir, au-delà de tous les arguments qui te donnent envie de rester couché au bord de la piscine ? Veux-tu guérir ? Puisque le paralysé ne répond pas, Jésus répond positivement à sa place et lui transmet la foi qui lui manque : Lève-toi, prends ton grabat et marche. Justement le jour du sabbat, on n’a pas le droit de porter son grabat, comme le dit le texte. Justement « lève-toi » c’est en grec egeire, le même verbe que pour ressusciter. Ressuscite, prends ton grabat et marche, pourrait-on traduire. La vie nouvelle dans la liberté n’est pas une question de magie, ou d’attente indéfinie au bord de l’eau que quelqu’un vienne vous prendre, mais de volonté, de foi, de confiance. Comme les fils d’Israël se sont levés d’Égypte au bout de quarante ans, dont 38 passés à attendre, et ont trouvé finalement leur libération ; comme Abraham s’est levé à 75 ans du pays de Haram, comme Jésus s’est relevé de sa mort pour éclairer le monde à venir.
La résurrection, c’est maintenant quand on n’attend plus la magie du miracle. Elle est dans ce « lève-toi et marche » répété cinq fois ici et présent aussi dans les autres récits de guérisons. L’ancien paralysé est devenu libre de ses mouvements, libre de marcher, d’aller où il veut. Il peut enfin vivre. La liberté, c’est toi qui la prends, en ne cherchant plus à suivre sans réfléchir la tradition religieuse, en décidant toi-même de te relever et de marcher, quel que soit le jour et quelle que soit l’agitation de l’eau. Jésus montre à ceux qui étaient couchés qu’il faut vouloir marcher et qu’il ne suffit pas d’attendre.
Ne prenons pas cette rencontre à la lettre et n’allons pas croire évidemment, que toute guérison est affaire de volonté, hélas. Nous ne le savons que trop. Mais l’évangile parle ici de ces guérisons dans la tête, des guérisons de l’âme, qui résultent de notre médiocrité et qui nous laissent à terre, paralysés, incapables de nous relever et n’attendant plus que le miracle. Eh bien si. La foi, la confiance données par toutes les paroles de Jésus nous permettent de nous relever et de marcher à nouveau vers une nouvelle liberté.
Il va de soi, et nous le voyons bien dans d’autres textes des évangiles, que Jésus encourage aussi la recherche de Dieu, la méditation spirituelle, la communion avec Dieu par la prière, par le retrait dans son for intérieur. Il prie très souvent dans les évangiles et recommande la prière à ses disciples. Mais pourvu que ce ne soit pas au détriment de l’action dans la cité, du secours de l’homme à terre, même dans des endroits aussi inattendus qu’une piscine.
C’est aujourd’hui jour de fête, lève- toi et marche.
Henri Persoz