Prédication du 10/12/2017

Prédication par Roland Poirier

Texte : Marc 1 1-8

NB : pour cette prédication les versions texte et audio sont disponibles.

Version audio

Version texte

Prédication du 10/12/2017

Comme nous l’avons entendu, ce texte de Marc (1, 1-8) annonce la passation de relais entre le baptême dans l’eau et le baptême dans l’Esprit. Entre le baptême par Jean et le baptême par Jésus.

Mais ce texte, pas plus que ce qui lui fait suite, ne nous éclaire sur le motif de ce changement de baptême, ni sur les rôles respectifs de l’eau et de l’Esprit qui semblent en illustrer la différence.

Et si pour s’en assurer on parcourt quand même les évangiles, on sera probablement surpris de ne jamais rencontrer de lieu ni de moment, où Jésus aurait effectivement baptisé !

L’évangile de Jean au chapitre 4 verset 2, nous dit même ceci : « Les pharisiens avaient entendu dire que Jésus faisait plus de disciples et en baptisait plus que Jean, -à vrai dire, Jésus lui-même ne baptisait pas, mais c’étaient ses disciples ».

Et pour faire bonne mesure voici que deux mille ans plus tard, nous, les descendants de ces disciples, nous continuons de baptiser dans l’eau ! Même si nous faisons appel à l’Esprit, et n’immergeons plus les baptisés, nous continuons de baptiser dans l’eau.

Tout ceci mérite quelques éclaircissements. Nous allons essayer d’en trouver en mettant ce texte en perspective dans le contexte général de l’Écriture.

Nous commencerons par nous intéresser à la question de l’eau.

Mais avant même de nous plonger dans les textes, (si on peut dire), un simple regard sur la nature, nous montre qu’on y trouve deux sortes d’eau : l’eau qui coule et l’eau qui stagne.

Cela ne préoccupe pas trop nos esprits occidentaux, mais en Chine par exemple l’importance de cette différence est telle qu’il existe pour les désigner deux idéogrammes distincts.

Pour désigner l’eau qui stagne, les Chinois, qui sont surtout des continentaux, utilisent le symbole du lac ; dans la Bible ce serait plutôt la mer. Mais celle-ci est assez ambiguë. Elle débute de façon très positive dans le récit de la création, puisque c’est d’elle qu’émergent les premières formes de vie. Puis rapidement elle change de comportement et devient résolument destructrice. Du temps de Noé, en retenant captives toutes les eaux de pluie, elle élève son niveau au point de noyer quasiment tout ce qui vit à la surface de la terre. Plus tard elle menace d’avaler le prophète Jonas. Et enfin c’est elle qui sera utilisée pour engloutir l’armée de Pharaon.

On ne sera pas trop surpris d’apprendre que lors du renouvellement de la création, à la fin des temps historiques, elle sera prudemment tenue à l’écart.

En effet, au chapitre 21 de l’apocalypse on peut lire ceci : « Alors je vis un ciel nouveau et une terre nouvelle ; car le premier ciel et la première terre ont disparu, la mer n’est plus » et un peu plus loin : « Dieu demeurera avec les hommes. Il essuiera les larmes de leurs yeux. La mort ne sera plus ». Il y a un raccourci saisissant entre la disparition de la mort et la disparition de la mer, qui était pourtant la première source de vie sur notre planète.

Par contre l’eau vive sera bien toujours présente. Au verset 6 de ce même chapitre on peut lire : « à celui qui a soif, je donnerai de la source d’eau vive gratuitement ». Et au début du chapitre 22 : « Puis il me montra un fleuve d’eau vive brillant comme du cristal qui jaillissait du trône de Dieu et de l’agneau. Au milieu de la place de la cité et des deux bras du fleuve est un arbre de vie… »

En résumé, seule l’eau vive, l’eau qui entretient la vie, survivra. C’est moins étonnant qu’on pourrait croire, car cette eau qui coule dans les fleuves, ne cesse déjà, dans notre monde actuel, de faire la navette entre le ciel et la terre. Elle tombe du ciel pour irriguer, abreuver, vivifier tout ce qui a soif sur terre. Elle se rassemble en fin de parcours dans les océans, d’où elle s’évapore vers le ciel pour y reprendre sans relâche son cycle vivifiant. Il y a là un symbole très fort.

L’eau dans laquelle baptise Jean, c’est celle du fleuve Jourdain. C’est bien une eau vive, une eau qui coule, une eau qui va au passage évacuer les impuretés qui souillent l’être humain, -ici symboliquement ce sont les péchés-. Une eau d’où va surgir un être nouveau.

Plus tard, lorsque Jésus parle à la Samaritaine au bord du puits de Jacob, au chapitre huit du quatrième évangile, il distingue l’eau du puits, sorte de regard sur une mer souterraine, de l’eau vive que lui-même donnera à ceux qui ont soif. Cette eau « jaillira jusque dans la vie éternelle » selon ses propres termes.

Après l’eau, intéressons-nous maintenant à l’Esprit.

Lors de la rencontre de Jésus avec Nicodème (Jn 3, 3) on trouve ceci :

Jésus lui répondit : En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît de nouveau, il ne peut voir le royaume de Dieu. Nicodème lui dit : Comment un homme peut-il naître quand il est vieux ? Peut-il rentrer dans le sein de sa mère et naître ?

Jésus répondit : « En vérité, en vérité, je te le dis, si un homme ne naît d’eau et d’Esprit, il ne peut entrer dans le royaume de Dieu ».

Curieusement c’est en compagnie de l’eau que nous rencontrons l’Esprit. Et contrairement à ce qu’on aurait pu croire tout à l’heure en lisant Marc, ils ne sont pas opposés mais complémentaires. Associés dans un processus de renaissance ou plutôt de nouvelle naissance, car il n’y a pas de répétition ni encore moins de retour en arrière.

On pourrait donc parler de résurrection. D’ailleurs Paul ne s’en prive pas dans l’épître aux Colossiens, comme nous allons le voir dans un instant.

Pour cela, revenons à l’évangile de Marc. Jean y qualifie son baptême de baptême de conversion. Aujourd’hui, la conversion désigne essentiellement le changement de religion. Mais le sens premier du mot est celui de mutation. Il indique le changement d’une chose en une autre chose. Il était utilisé en alchimie où l’on essayait avec persévérance de transformer de l’argent ou du mercure en or. Il s’agit d’un changement radical : une mutation, une transmutation, en quelque chose non seulement de meilleur, mais d’autre. Cette dynamique était donc déjà présente du temps du Baptiste.

Le problème avec une telle métamorphose qui fait accéder à un nouveau type de vie, c’est que pour quelqu’un de vivant, elle suppose de quitter d’abord la vie présente pour accéder à la vie nouvelle. Or quitter la vie, dans le langage courant cela s’appelle mourir.

Ainsi, le baptême que l’on considère surtout avec joie comme une naissance, comporterait d’abord, au moins symboliquement, une phase de mort ? Cela peut surprendre. Car notre premier réflexe lorsqu’on cherche à mieux comprendre le baptême, n’est pas d’aller fouiller du côté de la mort.

Et pourtant, le mot baptême vient d’un mot grec signifiant « plonger, immerger totalement ». Le mouvement d’immersion totale, qui fait littéralement disparaître, précède nécessairement le mouvement d’émergence du nouveau baptisé, qui fait la joie de tout son entourage. Les deux mouvements font inséparablement partie du baptême, tout au moins dans son principe.

Là encore, regardons plus en détail ce qu’en dit l’Écriture.

En Rom 6, 2 nous pouvons lire ceci :

Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ, c’est en sa mort que nous avons été baptisés ?

Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême en sa mort, afin que, comme Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, de même nous aussi nous marchions en nouveauté de vie ».

Et plus loin en Col 2, 12 à propos du Christ :

« Ayant été ensevelis avec lui par le baptême, vous êtes aussi ressuscités en lui et avec lui, par la foi en la puissance de Dieu, qui l’a ressuscité des morts ».

Tout cela, qui parait bien étrange, éclaire néanmoins ces paroles énigmatiques de Jésus lui-même, lorsqu’il se réfère au baptême qu’il doit recevoir. C’est en Lc 12, 49

Voici ce qu’il dit : «Je dois recevoir un baptême, et comme cela me pèse jusqu’à ce qu’il soit accompli ! » ou bien dans une autre traduction : et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli !

Jésus ne fait visiblement pas référence à son baptême dans le Jourdain, qui est déjà loin derrière lui, mais plutôt au baptême évoqué par Paul.

Ainsi nous serons moins surpris de voir intervenir avec l’eau et l’Esprit, un troisième élément jusqu’ici plutôt inattendu.

Dans la 1ère lettre de Jean au verset 5, on peut lire ceci :

« C’est lui, Jésus-Christ, qui est venu avec de l’eau et du sang ; non avec l’eau seulement, mais avec l’eau et avec le sang ; et c’est l’Esprit qui rend témoignage, parce que l’Esprit est la vérité. Car il y en a trois qui rendent témoignage:

L’Esprit, l’eau et le sang, et ces trois convergent dans l’unique témoignage ».

On va en effet rencontrer concrètement ce témoignage de l’eau, de l’Esprit et du sang, au moment de l’agonie de Jésus sur la croix, lorsqu’il quitte cette vie terrestre pour aller vivre auprès du Père.

En Jn 19, 30 et 34 on lit :

« Quand Jésus eut pris le vinaigre, il dit : Tout est accompli. Et, baissant la tête, il rendit l’esprit ». Tout de suite après: « Un des soldats lui perça le côté avec une lance, et aussitôt il sortit du sang et de l’eau. » Les trois sont bien là pour rendre témoignage au moment de recevoir ce baptême tant redouté.

Par ailleurs, quelques instants auparavant, voici ce que Jésus disait à l’un des deux crucifiés qui l’entourent :

« Ta foi t’a sauvé, aujourd’hui tu seras avec moi en paradis. » Il y a bien, pour ce condamné, passage de la vie sur terre à une vie nouvelle en paradis. Jésus ne le fait pas mourir, au contraire, il lui ouvre la porte de la vie éternelle.

Ne serait-ce pas là une manière de comprendre le baptême, non plus reçu, mais donné par Jésus ?

Une manière de comprendre comment, malgré l’absence de signe visible comme l’eau, Jésus a quand même pu baptiser dans l’Esprit, sans que les témoins ne s’en rendent forcément compte.

Souvenons-nous que Jésus est l’incarnation de la parole de Dieu, le verbe fait chair, comme le dit l’évangéliste Jean. Il n’a besoin de rien pour agir. Il dit et la chose est. Or au cours de sa prédication, combien de fois n’a-t-il pas dit, d’une manière ou d’une autre, à l’occasion de ses rencontres : « Va, ta foi t’a sauvé(e) ».

Par cette seule parole, la vie de la personne est transformée, puisqu’elle devient une vie de salut, une vie de personne sauvée. N’est-ce pas précisément cette mutation que représente le baptême ?

Ainsi, malgré l’absence de signes concrets, nous pouvons penser que Jésus a pu effectivement baptiser dans l’Esprit, conformément aux paroles annonciatrices du Baptiste. Sans que forcément cela ait été clairement perçu.

Enfin, pour ce qui est du déroulement actuel de notre baptême, il nous reste toujours à élucider la manière dont peuvent s’articuler la métaphore et la réalité, le baptême de fin de vie reçu par Jésus et le baptême dans l’Esprit qu’il a donné pendant sa période de prédication.

Les Églises chrétiennes présentent quelques variantes dans le rituel ainsi que dans leur compréhension du baptême, mais elles reconnaissent toutes réciproquement sa valeur et son unicité. Quel que soit le rite, il n’y a qu’un seul baptême.

Ainsi, pour conclure, devient-il possible, sans rien changer à ce que nous avons appris, de regarder le baptême que nous célébrons habituellement assez tôt dans la vie, comme une préfiguration, une anticipation rituelle non violente, de ce baptême de fin de vie, évoqué par Paul et tant redouté par Jésus. Baptême qui nous fera tous passer, cette fois concrètement, mais toujours mystérieusement, de notre vie actuelle dans le monde des humains, à une vie nouvelle dans le monde du divin.

Quoiqu’il en soit, l’essentiel n’est peut-être pas de connaitre techniquement la manière dont les choses se passent lors du baptême, mais plutôt la confiance que nous avons dans le fait qu’il s’y passe quelque chose d’important ?

À savoir la naissance en nous d’une nouveauté de vie, selon les termes de Paul. D’une vie nouvelle de baptisés désormais habités et guidés par l’Esprit.

Une vie dans laquelle l’amour inconditionnel du Père pour ses enfants, dont nous sommes, va pouvoir donner naissance en nous et à travers nous, à un amour fraternel des uns pour les autres. Un amour fraternel typiquement chrétien, en ce sens qu’il ne se limite plus à la seule dimension horizontale d’un amour simplement humaniste, aussi respectable soit-il. Un amour qui possède une dimension supplémentaire. Une dimension verticale, grâce à laquelle il va pouvoir concrètement refléter, manifester, incarner l’amour inconditionnel de Dieu pour chacun de ses enfants.

 

Amen.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.